L’idée de génie de Gaborieau, c’est de sortir de l’éternel gigot de Pâques ou du carré des grandes occasions. Ses pieds d’agneau en petits farcis d’échalote, ou sa couronne cloutée aux anchois sont de vraies merveilles. Le tout dans une série de livres de cuisine qui fut proclamée la meilleure de l’année 2009 par le jury des Gourmand World Cookbook Awards. Un seul regret : qu’il ne soit pas fait mention du broutard des Causses, l’agneau le plus divin du monde, qui d’année en année se voit attribuer le label tant convoité de "meilleur agneau du monde". Car la recette est une chose, la qualité du produit une autre… A ce propos, intéressez-vous donc aux expériences conduites sur le causse depuis 1997 en matière d’élevage d’agneau : il y a là toute l’intelligence qui manque à la société française en matière de réflexion sur l’agriculture…
L’agneau du Méjan y est en effet l’objet d’un défi sans précédent dans l’agriculture française, celui d’une production bio dans un parc national. Une expérience qui semble vouloir durer malgré les difficultés qu’elle a rencontrées et rencontre encore, exigeant de mettre œuvre des recherches capables de croiser sciences sociales et sciences agronomiques.
Ce qu’une poignée d’agriculteur y explore, c’est la mise sur le marché d’une viande dont les caractéristiques s’écartent des standards actuels. Un viande issue de l’élevage à herbe, qui dans l’ordre de la viande de qualité, a été totalement supplanté par l’approche de celle issue de l’élevage de bergerie dit "raisonné". Installés entre 1995 et 2000, cinq exploitants travaillent donc les techniques de cet élevage à herbe. Leurs agneaux sont pour l’essentiel nourris au lait maternel et à l’herbe des parcours. Ce qui contraint nos éleveurs à bien penser les ressources pâturables en s’appuyant sur les cycles de la production herbacée pour développer leur élevage : il leur faut par exemple coordonner rigoureusement les agnelages avec le démarrage de la pousse de l’herbe. Concrètement, cela signifie qu’ils doivent peser sur la reproduction, les fenêtres temporelles étant largement imposées par la nature : un tiers d’agneau naissent en été, un tiers en début d’automne et un tiers en fin d’automne. Ajoutez à cela que, produit de saison, leurs agneaux présentent des caractéristiques (couleur de la viande, taille des carcasses, niveaux d’engraissement) qui évoluent au cours du temps, vous comprendrez les problèmes que pose la commercialisation de leur viande sur des marchés fortement marqués par des normes standardisées de consommation de la viande d’agneau (leur viande manque d’homogénéité par exemple, et paraît trop blanche au goût du consommateur). Si standardisées donc, que cette viande ne peut être actuellement commercialisée que dans le marché des viandes à griller, qui ne sont pas les mieux valorisées pour la viande d’agneau. Passionnant en tout cas, l’intelligence de la réflexion menée sur les cycles de la vie et des standards de consommation. En référence, pour ceux que ça intéresse, l’étude sur ce point, que l’on peut lire en ligne sur le net.
L’agneau, dix façons de le préparer, Stéphane Gaborieau, Les éditions de l’Epure, 4 rue d’Alésia 75014 Paris, avril 2000. Piqûre cahier d'écolier fil de lin, Papier de création.
Elever des agneaux à l’herbe sur le causse Méjan : enjeux et défis d’une production "Bio" dans un Parc national français, par J. Blanc, Muséum national d’Histoire naturelle, CP 135 Eco-anthropologie/Ethnobiologie. 43 rue Cuvier, 75005, Paris.