KAMEL LAGHOUAT. Coupables d’être arabes, habillés de poussière.
18 Octobre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique
"Paris. 17 octobre 1961.
Quand ils sont tombés les uns après les autres, la langue des morts s’est déchirée.
Mais bien avant cela déjà : Mers-el-Kébir, la baie d’Oran. Le fort des Cigognes.
A quoi ressemblait la chambre de Kateb Yacine, le jour où il est mort ? Les hommes pleuraient-ils de n’avoir su l’entendre ?
A l’automne 1961, Frantz Fanon, algérien d’adoption, vivait seul à New York, où on soignait son cancer. Il mourut le 6 décembre de cette même année, sans revoir sa famille, ses amis. Sous sa voix nichaient des millions d’autres, opprimées.
17 octobre 1961. Paris. Des centaines. Morts. On ne saura jamais.
Mais avant cela, Barberouse, sur les hauteurs d’Alger.
La prison des martyrs de la cause algérienne.
Car avant cela, la guillotine française tranchait nos têtes.
Celle d’Ahmed Zabana, à Barberouse.
Cotty lui refusa sa grâce.
Tout comme à Ferradj.
Zabana fit résonner les murs de la prison ce jour là de son cri : "je meurs, mes amis, mais l’Algérie vivra !"
Ferradj, terrorisé, fut traîné à l’échafaud.
Ferradj, l’ouvrier agricole qui ne connaissait pas Alger, ni la grande ville.
Ferradj, L’ouvrier agricole qui avait passé toute sa vie dans une ferme de la Mitidja. Le 19 juin 1966, on l’a traîné vers la mort. Coupable de rien. D’être arabe. Habillé de poussière.
Les familles des condamnés à mort se rendaient chaque matin devant Barberouse où chaque matin on placardait la liste de ceux qui allaient être exécutés.
Car avant le 17 octobre 1961, l’Etat français exécutait les algériens. Il en avait pris l’habitude en quelque sorte.
Car pour jeter dans les rues de Paris des milliers d’algériens le 17 octobre 1961, hommes, femmes et enfants tremblants de peur et de colère, il en avait fallu de la souffrance, de l’indignation et de l’exaspération.
17 octobre 1961. On ne saura jamais combien sont morts. Cette ignorance est déjà un crime.
Mais avant cela, on envoyait les nationalistes algériens à la guillotine.
Car avant cela, le pouvoir politique français avait accepté que des pouvoirs "dictatoriaux" fussent accordés à Guy Mollet.
Car avant cela, il ne faisait de doute pour personne qu’il fallait recourir aux exécutions capitales pour guérir les algériens de leurs velléités d’indépendance.
Il y eut donc Ahmed Zabana, rendu infirme par ses blessures, exécuté le 19 juin 1956 à 4 heures du matin, et Abdelkader Ferradj, exécuté sept minutes plus tard.
Et la justice française, qui prononça plus de 1 500 condamnations à mort, exécuta 222 militants du FLN, le plus souvent au terme d’une parodie de justice.
Bien avant le 17 octobre 1961. "
Kamel Laghouat.
Photographie : la prison Barberouse à l’époque coloniale.
Photo de la guillotine d’Alger, la vraie, utilisée dans le film italo-algérien La bataille d’Alger, réalisé par Gillo Pontecorvo. Long métrage en noir et blanc tourné en 1965.
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