La Loi de 1954 instaurait le dernier dimanche d’avril comme celui de la journée nationale du souvenir de la déportation. Nicolas Sarkozy aura-t-il le courage d’étendre ce souvenir aux algériens déportés dans les camps français de la sale guerre d’Algérie ? Rien n’est moins sûr, à l’évidence… C’est pourquoi, en cette journée de commémoration, pourrions-nous convoquer la mémoire de Daniel Timsit, petit-fils de rabbin engagé très tôt aux côtés des indépendantistes algériens, déporté puis incarcéré dans une forteresse française. Le décret Crémieux (1870), avait eu beau donner la nationalité française aux juifs d’Algérie, il en restait bon nombre qui ne parvenaient pas à se satisfaire de la violence faite aux autres algériens, et d’un statut qui leur proposait de se débarrasser à la hâte de leurs racines algériennes. Ceux-là, dont Daniel Timsit, ne parvenait pas à oublier que l’arabe était leur langue maternelle, leur culture, et leur foyer. Engagé aux côtés des militants arabes pour le salut d’un pays exsangue, Daniel Timsit fut considéré comme "traître à sa patrie". Il paya son engagement de six longues années de forteresse. Six années au cours desquelles l’écriture l’accompagna et l’aida à se glisser comme une ombre dans ce désert qu’est la prison. Récupérant les notes qui n’avaient pas été détruites ainsi qu’une partie de sa correspondance, Timsit s’est ensuite livré à un vrai travail scripturaire. Tel un peintre recouvrant son œuvre d’un repentir, il s’est mis à écrire par dessus ce qui existait, non pour le masquer mais l’éprouver encore, à plus de quarante ans d’intervalle. La distance qu’il inaugure ainsi avec ce texte final, laissant toujours visibles les premières traces, n’est rien moins que celle de l’élaboration littéraire. Contre l’enfermement carcéral, Timsit convoque toutes les figures de l’écriture. Son récit est même traversé d’aphorismes ou de courtes biographies, ouvrant à l’évocation de figures sublimes du combat algérien, comme celle de Hassiba ben Bouali, "une toute jeune lycéenne de dix-sept ans, très belle, de grande éducation, raffinée. Tous nos rapports étaient empreints de délicatesse. J’étais hébergé chez la mère d’un militant qui me traitait comme son fils. Hassiba m’avait offert un superbe exemplaire des Mille et une nuits. C’était le sien depuis la petite enfance, m’avait-elle dit, et elle avait ajouté : "Cela t’aidera à passer les nuits.""
Un texte superbe, sans cesse repris quand aux yeux de son auteur il ne porte pas suffisamment la vie dont il a voulu le charger.
Récits de la longue patience (Journal de prison 1956 – 1962), de Daniel Timsit Flammarion, janvier 2002, 476p., ISBN : 9782080682830.