JOSEPH CZAPSKI : PROUST CONTRE LA DECHEANCE
7 Mars 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais
Les historiens de la culture connaissaient l’histoire. Mais le texte restait introuvable. Durant son internement dans un camp soviétique, Józef Czapski (dont le nom se voit curieusement francisé par l’éditeur), qui devait multiplier ensuite les mésaventures éditoriales, en France en particulier où son Terre inhumaine allait connaître de sérieux déboires, Gallimard ne cessant, sous la pression d’Aragon, d’en différer la publication pour des raisons idéologiques, avait donné de mémoire une série de conférences devant un public pour le moins inattendu : celui de ses co-détenus d’un camp de travail soviétique.
Les conférences de 1940-41 sont donc enfin disponibles. Leur publication s’appuie sur les textes dactylographiés en 43 directement en français, eux-mêmes établis à partir des cahiers de Czapski, dont une partie avait échappé à la destruction.
Une édition intelligente qui maintient les approximations, les erreurs, ainsi que les maladresses lexicales et syntaxiques, pour en renforcer l’émotion et en souligner la force d’évocation. Saluons-le, car ce n’est pas dans l’habitude des éditeurs français, entrés depuis des lustres dans l’ère du lissage si ce n’est celui du ponçage littéraire, reprisant sinon altérant, au prétexte de "réparer" les textes, au nom d’un soit-disant consensus quant aux vertus du style français, lequel relève la plupart du temps de la plus parfaite indigence intellectuelle et artistique.
Le plus fascinant de ce qui nous est restitué n’est alors pas la qualité ou la précision du souvenir intellectuel, mais de voir Czapski arpenter une mémoire quasi visuelle de l’œuvre de Proust, inaugurant chacun de ses chapitres par une image qui finit généralement par lui restitué avec une précision déconcertante les détails stylistiques qu’il arrache à l’œuvre remémorée. Et c’est aussi bien sûr le contexte dans lequel cette nécessité s’affirme, d’angoisse quant aux risques pris (l’exécution sommaire), et d’inconfort (par –40°, debout dans une vigie terrifiée).
A peine vingt ans après la mort de Proust et après l’oubli d’une écriture si peu française tout d’abord (seul le détour par l’Angleterre convainquit la critique littéraire de l’époque de mieux lire un auteur qu’elle s’amusait alors à dédaigner), il vaut la peine de découvrir la vigueur de cette école buissonnière, décortiquant avec passion l’enchevêtrement des thèmes proustiens, en particulier ceux de la question de l’amour, cet infini proustien si tangible, où les détenus du camp puisèrent la force de survivre, pour en redécouvrir toute la nécessité, aujourd’hui encore : décidément, les œuvres réellement littéraires ne sont pas faites pour le salon de littérature, la causerie guindée ou la critique satisfaite d’exhiber l’onctuosité de ses platitudes. joël jégouzo--.
Joseph Czapski, Proust contre la déchéance, conférences au camp de Griazowietz, éditions Noir sur Blanc, janvier 2011, 94 apges, 16 euros, ean : 978-2-88250-246-9
A propos de Proust, Marcel :http://joel.jegouzo.over-blog.com/article-proust-du-rebord-des-levres-au-baiser-maternel-48464401.html http://joel.jegouzo.over-blog.com/article-comment-proust-revint-a-la-france-proust-et-la-moulinette-des-sciences-humaines-6-6--42715999.html
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