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La Dimension du sens que nous sommes

Le repentir de Jérôme Kerviel...

20 Mai 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

trader.jpgIl le prétend du moins et dans le message qu'il a délivré, il semble sincèrement vouer une vraie détestation à l'homme qu'il était. Mais de quoi se repentir ? D'avoir aimer jouer ? D'avoir aimer l'argent ? D'avoir tant aimer n'être plus dans le réel ? Il y a bien sûr le problème de la Justice et ses carences dans cette affaire, scandaleuses, qui ont ouvert la voie à la sauvegarde de la Société Générale jamais conduite à s'expliquer vraiment, cette omerta dont Jérôme Kerviel parle avec conviction et non sans raison. Et puis le fond du problème, ces régulations non humaines dont la Finance est aujourd'hui le fer de lance d'une société qui pousse peu à peu à son paroxysme l'inhumanité de ses rationalités. C'est de cela qu'il faudra, encore, parler entre nous, de ce "nous" que la Finance ne cesse de briser, de lancer tête dans le mur pour assurer son apocalyptique devenir.
Salle des marchés. Open space tendu à l’extrême. Un emprunt à la marge, mille milliards d’euros. Naguère les cotations se faisaient à la criée, Zola en sautoir. Open space : il faut de l’agitation pour créer des stimuli. Exit les cloisons, donc. Open space : le modèle par excellence du stimulus operandi.
Depuis quand les banques ont-elles pris possession des Bourses ?
En 1531 fut créé à Amsterdam la première vraie Bourse du monde occidental. Déjà la maîtrise de l’information y était essentielle. A Paris, la Compagnie des agents de change vit le jour en 1801. En 1895 fut créé le MATIF. Et de nos jours nous avons le CAC 40. Cotation Assistée en Continu. Mais il ne s’agit plus aujourd’hui de disposer de l’information utile, il faut la devancer. Il faut pouvoir, toujours, disposer d’une information nouvelle. Et produire sa rationalisation. Le marché a peur, par exemple. Le marché s’emballe, manque de confiance le pauvre chou, le marché est supendu à un mot, un chiffre, qui l'aidera à déployer ses métaphores, sportives et militaires. En ordre de bataille, les traders attaquent. Ils montent à l’assaut. Se replient. Ou font une trève. Pour empocher les dividendes, avant de remonter au front. Et puisqu’il faut bien se vendre, le trader passe aussi une partie de son temps à envoyer des signaux sur sa rentabilité.
Trader. Une économie psychique pulsionnelle. Penser profit. Calculer. Tout le temps. Seul compte l’arbitrage des mathématiques. Il faut mettre en équation des données, des chiffres, les courbes du marché. Toute la journée. Ne se soucier que du profit. Gagner à la hausse, gagner à la baisse. Trader, c’est être capable de formuler plusieurs stratégies contradictoires en même temps. Et formaliser la présentation de son raisonnement. Car si le monde des hommes n’existe pas dans la salle des marchés, il faut lui donner le change : produire un discours moral sous couvert d'explications scientifiques, à l’attention des sociétés humaines que l’on veut plumer. Un discours moral vaut toujours mieux qu’un discours politique pour berner les gens. Trader, le droit de vie et de mort. Jeter un pays entier dans la misère : trois lignes de chiffres. Détenir le nomos grec, donc. Je fais et défais. La guise est mathématique. Imparable.
Trader : la sauvagerie à l’état pur. Le Droit n’est qu’un art de fortune, vu depuis la salle des marchés, et depuis qu’elle est devenue ce que la cité juge de plus indispensable. De plus indispensable mais de plus fermé. Une clôture essentiellement masculine du reste. Derrière laquelle dissimuler les complicités les moins avouables. La salle des marchés ? Un espace depuis lequel domestiquer les êtres sans pudeur.
Exit le Droit, le politique, ne subsiste que l’expression d’un jugement construit au plus juste des lois mathématiques. Car là où le Droit établit un lien de vérité, le trader, lui, rétablit l’absurdité de cette attente de vérité.
Trader, l’instance même de la dé-socialisation des couches les plus favorisées de la Nation. La nouvelle économie est plus nouvelle qu’on ne saurait l’imaginer. Car être trader, c’est explorer des régulations non humaines de la cité. C’est dépasser l'assignation du politique. C’est travailler à la lettre le concept de réquisition de Heidegger, où substituer la programmation à la conscience.
Trader, une inspiration post-ontologique, qui ne puise ses justifications que dans l’auto-référence. Non pas une bulle, fût-elle financière, mais une circularité parfaite où accomplir le grand œuvre de destruction de l’humain.
http://www.soutien-officiel-kerviel.com/blog/


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