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La Dimension du sens que nous sommes

James A. Hetley, Le Royaume de l’été et le réalisme magique

26 Mai 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

ete.jpgMaureen est paumée. Comment ne pas l’être dans un monde schizoïde où un gosse peut se fournir en crack mais dont la Loi ne tolère pas qu’il achète du tabac ? Du reste, elle a vraiment de quoi l’être ce soir d’hiver dans le Maine : elle vient de tirer plusieurs balles sur un simulacre sans jamais l’atteindre, tandis qu’un chevalier surgi de nulle part lui affirme être Arthur Pendragon et prétend qu’elle est l’héritière d’un monde caché. Bien que rejeton d’une famille d’ivrognes opiniâtres, il y a de quoi laisser pantois ! D’autant que ce Brian Arthur Pendragon lui annonce sans rire qu’elle possède des gênes qui en font l’enjeu d’une quête meurtrière au royaume des fées ! Et qu’enfin, un gnome est à sa poursuite, pour l’engrosser… Foutu monde que celui qu’elle découvre, celui les Anciens, un peuple du Nord de l’Europe dont elle saisit qu’ils sont un rameau oublié, entre Neandertal et Homo sapiens. Un rameau stérile donc, voué à la disparition, à moins que… Eh oui, lui révèle Brian : à moins qu’elle ne se dévoue, car elle seule n’est pas stérile et peut sauver sa race !
Tout bascule donc. Maureen passe malgré elle de l’autre côté du miroir, dans le Royaume de l’été. Dans notre monde rôdait la folie. Dans celui de l’été rôde la mort. La voici livrée au gnome Dougal comme un vulgaire appât, par Sean, le jumeau de Brian ! Encore une famille qui ne fonctionne pas… La chasse commence : Brian se lance sur les traces de Dougal, accompagné de David, le petit copain de la sœur jumelle de Maureen, elle aussi sur les talons de sa frangine, sans se douter que quelque part dans la forêt est tapie une autre sœurette, bien mauvaise celle-là, Fiona, sister de Brian…
Quel imbroglio de gémellités rancunières ! Dieu, il ne fait pas bon se balader dans les contes de fées ! David l’apprend à ses dépens. Ce gentil en effet, n’y fait pas le poids : la terre l’avale ou plutôt, le voilà offert à la terre pour l’engraisser de son sang et la régénérer. Des églantiers font racine de son corps. Le monde de l’autre côté du monde pue vraiment : c’est du sang, de la haine à l’état pur, le viol, l’inceste, c’est ça la réalité
des contes, il serait temps d’écarquiller les yeux ! Car tandis que l’ombre moqueuse du monde enchanté ravaude ses nasses barbares, tandis que David n’en finit pas de se dissoudre en offrande atroce, Maureen cède par calcul à l’étreinte du gnome, qui l’engrosse avant qu’elle ne l’explose.
Dans la forêt de Pendragon, on est proie ou prédateur. Il n’existe pas de voie médiane. Aussi Maureen s’éveille prédatrice, brusquement épanouie à sa magie camouflée. Le sang appelle le sang, la forêt se transforme en un vaste charnier où seuls les paranoïaques parviennent à dénombrer leurs ennemis. Elle soumet tout ce qui bouge. Reste à sauver Brian. Seul un charme vigoureux peut l’arracher aux pattes de Fiona. Maureen le sait, le sent, le renifle entre ses cuisses si longtemps fermées aux hommes, et pour cause ! Au terme de sa quête, la voilà enceinte de jumeaux nés de pères ennemis : Dougal et Brian. Maureen a vaincu le sortilège, mais à quel prix ? Folle, certes elle ne l’est plus. Elle sait désormais parler aux arbres… Car on peut vraiment leur parler. L’humanité ne s’en est pas privée du reste, tout comme des sacrifices humains pour nourrir son destin. C’est autour de cette symbolique millénaire que le roman se construit : le sang, le sperme, les humeurs du corps, la terre atavique et la forêt enfin, être plein par excellence de nos égarements dévastateurs.
L’hiver dans le Maine fleurit en fin de compte d’étranges rêveries bordées de frayeurs, que les protagonistes de ce drame ancestral relèvent dans une langue familière, celle du monde auquel nous appartenons. Dans ce roman, l’espace narratif oscille sans cesse entre le banal et le sublime. Le monde se courbe au gré de nos fantaisies en empruntant ses formes aux univers des esprits balbutiants. Et dans ce monde de rôdeurs urbains privés de toute conscience, nul doute que le réalisme magique ne soit, en réalité, notre vrai site existentiel.

 

James A. Hetley, Le Royaume de l’été, éd. Mnémos, 376p., nov 2004, 21,5 euros,

Le Royaume de l’été, éd. Gallimard, avril 2008, coll. SF, 501 pages, ISBN-13: 978-2070346943.

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