Condorcet fut le premier à concevoir que l’institution du citoyen relevait du Bien commun. Au cœur de cette institution, l’Ecole de la République, dont l’objectif à ses yeux ne pouvait être celui de produire ou de reproduire des citoyens conformes à l’attente des pouvoirs publics, mais au contraire, une école que l’on aurait délibérément placée dans une relation critique à l’égard de la Constitution républicaine. Pour Condorcet "le but de l'instruction n 'est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l'apprécier et de la corriger". L’idée de République telle qu'elle se fonde chez Condorcet, lecteur de Rousseau et de Montesquieu, insiste ainsi absolument sur la question de la vertu politique dans la République : pas de République sans républicains, et là encore, non ce genre de républicains chers à Sieyès réduisant la citoyenneté à l'exercice d'une compétence technico-politique, mais ce genre de républicains littéralement embarrassants pour tout pouvoir politique, car aptes à combattre les dérives qui veulent faire de la République une simple démocratie gestionnaire au service de l'électoralisme. Condorcet n’avait de fait aucune illusion quant au débat politique confisqué par les politiciens : ce débat politique pouvait connaître une régression électoraliste, destituant le citoyen actif en simple électeur passif. Face à cette dérive, l'exigence républicaine commandait de soustraire la politique aux mains des seuls hommes politiques, afin de ne pas succomber à leur affairisme gouvernemental et de les empêcher de nourrir toute confusion entre pouvoir et autorité.
Enfin, Condorcet subodorait que la citoyenneté pouvait tôt ou tard se voir détourner de ses fins pour n’être plus que l’instrument d’un horizon douteux : celui de l’identité nationale. Ce pourquoi il affirma avec force que la nation ne pouvait être qu’un lien juridique et politique et non celui du sol ou du sang, et que ce lien ne pouvait s’instruire que dans une réaffirmation permanente de la vertu de citoyens engagés volontairement par les pouvoirs publics dans l’affirmation d’une solidarité nationale incluant tous les citoyens de la Nation, et non en opposant certains d’entre eux aux autres, voire en les dressant les uns contre les autres.
Des citoyens engagés volontairement par les Pouvoirs publics… Parce que Condorcet avait compris que ce n’était pas parce qu’il existait des droits institutionnalisés que pour autant il existait des citoyens : il ne pouvait y avoir de citoyens qu’au prix de l’instruction et de l’élévation, intellectuelle, morale : pour Condorcet, la République ne pouvait exister qu’à la condition d’être le régime "où les droits de l'homme sont conservés". Un régime fragile, on le voit, au sein duquel, s’il n’y surgissait pas volontiers "des César ou des Cromwell", il suffisait "d'un médiocre talent et souvent d'un bien petit intérêt pour faire beaucoup de mal".
Condorcet, Instituer le Citoyen, par Charles Courtel, coll. Le Bien Commun, éd. Michalon, février 1999, 128 pages, 9,99 euros, ean : 978-2841860951.