«INDIGNEZ-VOUS !» STEPHANE HESSEL
Indignez-vous du seul gouvernement français qui, depuis les années 40, ait osé publier une circulaire préfectorale ciblant ouvertement une population ethnique, et ne l’a retiré que parce qu’un commissaire européen menaçait de déposer plainte contre lui.
Indignez-vous du racisme anti-arabe qui, aujourd’hui en France, peut s’exprimer en toute impunité.
Indignez-vous.
Indignez-vous d’une justice qui, dans l’affaire Karachi, ne peut faire son travail.
Indignez-vous du sort réservé aux plus fragiles : immigrés, sans-papiers, sdf (a-t-on seulement jamais réalisé qu’un tiers d’entre eux étaient des travailleurs salariés ?), précaires (le chômage baisserait-il, que personne n’évoquerait la montée de la précarité en France).
Indignez-vous d’un Etat incapable de fournir du travail à ses jeunes.
Indignez-vous d’un Etat au sein duquel la comptabilité du chômage, alignée sur celle de l’Europe, par un tour de passe-passe cynique, gomme de ses registres des millions d’hommes et de femmes sans emploi.
Indignez-vous de l’arrogance des riches qui, en quelques années et surtout depuis leur fameuse crise financière, n’ont jamais accumulé autant de profits de leur vie, bien davantage que la génération de leurs parents, quand l’immense majorité de la population française a plongé dans les affres d’un avenir tel, que génération après génération, sa paupérisation s’amplifie.
Indignez-vous d’une école qui est devenue une école privée de la République et ne sert que l’ascension sociale des enfants de riches, au mépris de sa mission républicaine.
Indignez-vous de l’aveu des députés constatant, dans un rapport tout ce qu’il y a de plus officiel, que nos banlieues sont devenues non seulement des ghettos, mais qu’elles le resteront, et qu’au sein de ces ghettos, la situation des jeunes français issus de l’immigration est sans espoir.
Indignez-vous d’un système économique que l’on ne maintient pas sous perfusion financière, contrairement à ce qui peut être dit ici et là, mais que l’on entretient savamment parce qu’il n’aura jamais été aussi favorable à l’enrichissement des nantis.
Indignez-vous des discours fatalistes qui, au nom de ces dettes contractées par les Etats pour servir la finance internationale, recommandent que les populations soit saignées à blanc et sacrifient non seulement leur avenir, mais celui de leurs enfants.
Indignez-vous de ne pouvoir rien offrir de mieux à vos enfants que l’angoisse des années à venir et notre capitulation devant l’horreur qui leur est promise.
Indignez-vous de ne pas oser vous-mêmes ces mots d’horreur économique, de trahison politique, quand tout montre que le libéralisme économique n’aura été qu’une vaste conspiration contre l’humanité elle-même.
Indignez-vous, les raisons sont nombreuses, innombrables et leur nombre seul suffit à révéler l’iniquité, l’injustice, la faillite de la société que l’on voudrait nous voir cautionner, l’imposture d’un Etat qui refuse de dire son nom, d’une économie qui refuse de révéler ses fins, d’une démocratie dévoyée qui a épuisé ses fonctions historiques.
Multipliez les raisons d’être indigné, il sera temps, demain, d’en faire la somme.
Indignez-vous encore du retour de la faim dans le monde, à des niveaux jamais atteints.
Indignez-vous du silence qui accueille, toutes les 5 secondes, la mort d’un enfant privé de nourriture.
Indignez-vous de l’indifférence dans laquelle est accueillie la propagation ahurissante du Sida en Afrique.
Indignez-vous du sort réservé aux Palestiniens, Obama venant de refuser, hier, que l’on mette sur la table des négociations le gel des colonies et comme approuvant déjà par défaut le règlement inique qui semble vouloir se profiler, de créations de ghettos palestiniens avec lesquels Israël pourra vivre en paix, et les palestiniens mourir derrière de hauts murs d’où les cris de leur fin ne nous parviendront plus.
La question Palestinienne, voilà du reste ce qui a motivé le coup de gueule de Stéphane Hessel, 93 ans, ancien Résistant, ancien membre du Conseil National de la Résistance, ancien membre de la Commission ayant présidé à la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen, juif critique d’un gouvernement israélien qui n’a pas ménagé ses appuis pour faire taire, à l’extérieur de l’Etat Hébreu, toute opposition à sa politique palestinienne. Stéphane Hessel, poursuivi en justice pour ces strictes raisons, par une invraisemblance ahurissante de l’Histoire !
Un texte court, percutant, plein d’espérance. Un vrai succès de librairie, porté par le seul bouche oreille –et ce seul fait suffit à nous rendre l’espoir : un vent nouveau souffle dans le pays, depuis peu, depuis le mouvement contre le projet de Loi sur les retraites en fait. Et même si une Loi inique a été votée depuis, pas même cette apparente défaite provisoire n’est venue à bout de l’exaspération massive soudain révélée au pays tout entier. L’exaspération et, mieux : l’espoir, oui, l’espoir, que les battements d’ailes immenses de l’Histoire n’ont pas été définitivement anéantis.
Stefan Hessel, debout, toujours, dans cette dernière étape de sa vie, insurgé, pacifiquement : la plus redoutable des insurrections au fond, comme il nous l’explique, parce qu’elle inscrit non pas l’exaspération comme seul horizon, mais une espérance fondée sur une démarche éthique, celle de la Justice.
Que toutes les indignations se fassent jour d’abord, il sera temps, ensuite, d’inventer les usages de leur force. Ne hiérarchisons pas ces indignations, laissons-les, toutes, s’exprimer. Elles portent le même socle. Témoignent des mêmes valeurs de vie. Multiplions les raisons d’être indigné, il sera temps, demain, d’en faire la somme. --joël jégouzo--.
Indignez-vous, Stéphane Hessel, Indigène éditions, coll. Ceux qui marchent contre le vent, octobre 2010, 30 pages, 3 euros, ean : 978-2-911939-76-1.
Courriel : editions.indigene@wanadoo.fr