Il ne s’agit plus de mieux régler la corruption !
Gauche-Droite, Gauche-Droite, Gauche-Droite… Dans le musellement de la souveraineté populaire, il y a comme un balancement maudit qui vous met le cœur à l’heure, cher Léo… A la curée sarkozyste a succédé le pastiche socialiste. "Depuis que l’idée de Révolution (s’est absentée de nos sociétés), écrit Alain Badiou, notre monde n’est que le recommencement de la puissance", où la pornographie de la démocratie marchande le dispute à la grossièreté de la propagande médiatico-politique. Dehors gronde l’émeute. Mais elle ne parvient pas à se soustraire aux images que le monde de l’argent diffuse à satiété.
Alain Badiou est philosophe. C’est en philosophe qu’il réfléchit notre situation présente. Comment le Pouvoir recouvre-t-il d’images nos imaginaires ? Quel est le nom de ce Pouvoir anonyme, du reste ? Quel est ce fétiche qui nous aveugle et que nous ne savons pas nommer ?
La Démocratie, répond-il. Avec son mensonge politique et son mirage de perfectibilité qui nous plongent jour après jour dans l’attente, dans cette patience consternante, sinon masochiste, que le mot encode, empreint d’un espoir qu’il faudrait toujours repousser mais toujours représenté comme à portée de main, alors qu’il n’a jamais accouché que de l’injustice et de l’immoralité. La Démocratie répond-il avec force, dont la chimère nous aveugle de vains atermoiements.
C’est cet aveuglement qui motive sa réflexion. Quels en sont les mécanismes ? Comment s’y arracher ? Enfermés dans notre pitoyable misère que récapitule à elle seule l’expression de "classe moyenne", nous ne savons plus vivre que la subjectivité morbide que cette expression décline, raidis les uns les autres par l’espoir de "participer (mièvrement) à la formidable corruption inégalitaire du capitalisme, sans même avoir à le savoir"… Enfermés dans nos fantasmes d’usuriers, nous laissons la bride sur le coup de l’Etat démocratique, fondé de pouvoir du Capital despotique.
La révolte gronde pourtant. L’indignation. Mais elle ne produit pas de pensée forte. Peut-être est-ce parce que nous ne savons pas, nous n’osons pas décrypter le vrai sens de notre désir de changement ? L’Etat nous opprime, mais nous n’osons le dénoncer comme une pure machine arbitraire, dépourvue de toute légitimité politique. Peut-être n’osons-nous pas voir dans la Démocratie une fiction exclusivement destinée à confisquer notre pouvoir populaire souverain ?
Cependant que le temps presse. Il ne s’agit plus de mieux régler la corruption, ni de vouloir participer au rêve médiocre de la classe moyenne, mais de défaire cette idéologie mortifère dans laquelle nous croupissons.
Car il y a danger. Il y a urgence. Et la puissance latente de l’événement que nous sentons tous venir, pourrait bien se perdre dans des gestes de désespérés, sinon un dernier et fatal virage à Droite….
Mais il s’annonce déjà, redoute Alain Badiou, qui n’est guère optimiste. L’avènement de ce légitime désir de révolte semble déjà se perdre, tant il est mal engagé. Et Badiou de tenter, en philosophe, d’en décrire les usages, sa captation par des représentations morbides, la facticité de notre présent. Il faut désimaginer, nous dit-il, construire ce moment culturel qui parviendra à déboulonner l’emblème qui nous oppresse, le fétiche qui nous aveugle. Seule une pensée forte, organisée et populaire, seule une critique radicale de la Démocratie, une critique créatrice, nous permettra de nous sortir de la nasse dans laquelle le monde politico-médiatique nous a enfermés.
Alain Badiou, Pornographie du temps présent, Fayard, avril 2013, coll. Essais, 64 pages, 5 euros, ISBN-13: 978-2213677934.