IEGOR GRAN : L’ECOLOGIE EN BAS DE CHEZ MOI
Il faudrait être fou, aujourd’hui, pour défendre un tel livre, tant l’ampleur de la catastrophe nippone témoigne de la nécessité d’une réflexion approfondie sur les problèmes d’environnement. Mais à bien y regarder, c’est justement parce que l’horreur dans laquelle nous plonge cette catastrophe est de nature à nous aveugler, qu’un tel livre fonde sa nécessité.
Un livre qui plus est écrit dans un style enlevé, drôle sinon bouffon, élevant la réflexion à la dimension de l’Histoire sans jamais se départir de ces anecdotes où s’enracinent la plupart de nos gestes quotidiens -lesquels témoignent, mine de rien, de raisons souvent lamentables.
Les voisins d’en bas, à commencer par eux, civiques, vigilants, probes. Sur eux. Tellement probes. Soignant leur probité à coups de Yann Arthus-Bertrand (il est partout !). Le sourire durable franc ouvert sur notre responsabilité devant la planète. Gourous en tri sélectif, citoyens modèles, bobos durables. Adorateurs d’images falotes, Yann Arthus en égérie, digne héritier de Leni Rifenstahl, la photographe du IIIème Reich… Home, de Yann Arthus, la cible majeure De Iegor Gran. Home, œuvre mineure passée au crible d’une critique acerbe, intelligente, comparant sans concession ce qui se trame derrière avec ce que Leni Rifenstahl trama dans son film de 1935, qui débutait lui aussi par des images de l’Allemagne vue du ciel, depuis l’avion du Fürher plus exactement… La nature, mais sans les êtres humains -ou l’homme réduit à sa mécanique corporelle. Et de pointer ces esthétiques frelatées, les grilles du jardin du Luxembourg réquisitionnée pour imposer à la Nation leur propagande chétive, les enfants des écoles menés manu militari voir Home, sans qu’aucun parent ait pu donner son avis sur la question… L’immense conspiration d’une politique de pureté de la nature faisant pendant à la pureté de la race, les lois nazis hantant soudain la chimère écologiste, celle de septembre 1937 par exemple, visant à faire respecter un transport décent pour les animaux fermiers –les rescapés des camps de la mort apprécieront…
Poussant très loin l’analyse des figures du discours écologiste, trop loin diront certains, au fond, l’ouvrage nous aide à mieux comprendre ce qui pourrait nous conduire vers de sérieuses dérives autoritaires, dans un climat d’annonce de catastrophes écologiques de plus en plus fréquentes. Car la tentation pourrait être grande, demain, de préserver la planète au prix de nos libertés – ce qui en outre pourrait tout aussi bien être le fait d’un gouvernement de droite que de gauche… Celle de suspendre tout processus démocratique, comme on peut l’observer chaque fois qu’une catastrophe survient, l’urgence l’imposant au prétexte de confier à des experts la gestion de risques qu’en réalité, aucun d’entre eux ne sait ni évaluer ni maîtriser.
Oui, un totalitarisme environnemental pourrait bien être l’aboutissement d’un état de crise planétaire. Un totalitarisme cautionné par les démocraties elles-mêmes, nullement affectées de s’être pareillement engouffrées dans des choix politiques dont elles ont exclus leurs peuples –comme c’est le cas au Japon, lancé tête baissé dans le tout nucléaire sans consultation démocratique, tout comme en France du reste, où comme à l’accoutumée, les grandes décisions politiques se prennent sans l’assentiment de son Peuple. Et si la question de l’environnement pèse de tout son poids aujourd’hui, à juste raison, il n’est peut-être pas sot d’y regarder de plus près, non pas pour ajourner nos critiques d’un mode de vie pour le moins devenu un danger pour tous, mais pour nous parer de ces dérives bien réelles qui pourraient voir le jour demain sous couvert d’écologie. –joël jégouzo--.
IEGOR GRAN : L’ECOLOGIE EN BAS DE CHEZ MOI, éd. P.O.L., février 2011, 224 pages, 15,5 €, ISBN : 978-2-8180-1334-2.