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4 mai 2010 2 04 /05 /mai /2010 09:44

smithFrank Smith est poète.

Il coordonne par ailleurs l’Atelier de création radiophonique de France Culture. En écrivain, il est allé explorer la matière fournie par l’Administration américaine sous la pression de l’Associated Press : les transcriptions des interrogatoires des prisonniers, mises en ligne depuis 2006 sur le site de l’Associated.

En poète, il a retravaillé cette matière pour en faire un livre. Une œuvre poétique rendant compte d’une rhapsodie singulière : celle des techniques d’interrogatoire coutumière des dictatures paranoïaques, voire des états exposés qui, aux portes de leurs frontières, vous y soumettent volontiers, sans toutefois pousser aussi loin la culpabilité supposée de celui qui y est soumis, bien évidemment.

Une œuvre poétique rehaussée de dialogues recomposés et de «récitatifs» destinés à nous faire entendre moins des voix que des échanges inouïs, déséquilibrés, où l’on sent bien que toute explication est vaine, perdue d’avance, tant la parole s’y trouve contournée, enfermée dans la nasse de la mauvaise foi.

Guantanamo. C’est le nom d’une île. Le vocable est aujourd’hui universel. Il s’articule identiquement dans toutes les langues, toutes les cultures. Mais de quoi donc est-il le nom? Par son texte, Frank Smith a tenté d’entrer là, pour contraindre la langue à dévoiler ses rapports de pouvoir et derrière la logique à l’œuvre dans ce genre d’autorité, à révéler le lieu où toute parole se voit déposée par la faconde du Pouvoir.

Guantanamo. Il faut reprendre. Encore et encore. Cette matière infinie d’une langue dont nous ne savons presque jamais contraindre ses rapports à l’être, à l’esse des choses. Dans sa manière de tresser les documents choisis, d’ouvrir des créances ambiguës tout en révélant l’extraordinaire pauvreté des arguments de l’Accusateur Public, fondant sur la dénonciation sa triste logique besogneuse, dans sa manière de désarticuler ses ré-élaborations formelles, de tourmenter sa matière, emmaillotée d’ingénuité simulée parfois, dans sa manière d’interpeller la raison sans trop se soucier de construire un jugement qui pût éclairer décisivement l’ensemble, dans sa manière de rajouter de la confusion, de nous égarer comme en écho à l’égarement d’un interrogatoire fait pour ça justement, dans sa manière de poser la question de la validité des principes abordés (qu’est-ce que témoigner ? Qu’est-ce qu’interroger ?, etc.), Frank Smith convainc et compose une fiction forte. Une fiction qui trouve en outre son point de fuite dans celui d’une langue peu assurée d’elle-même malgré ses postures, et qui n’articule en définitive que des bribes. C’est là le plus probant : ces bribes, la suspension de la logique, ces bouts, fractions, parties d’une langue échouée sur quelque rive obscure –et obscure au Pouvoir même qui la parle. L’esthétique d’une violence dérobée, congédiant la réalité au profit de son simulacre paranoïde.
joël jégouzo--.

Guantanamo, de Frank Smith, Seuil, coll. Fictions & Compagnies, avril 2010, 124 pages, 15 euros, isbn : 2021020959.

Blog du Collectif guantánamo France fondé à Paris en février 2003 Adresse : 1 impasse Laperrine, 11 000 Carcassonne, Tél. 06 13 99 28 86 collgitmo@gmail.com
http://chroniquedeguantanamo.blogspot.com/2009/05/hardin-big-horn-county-montana-usa.html

site de l’Associated Press
http://hosted.ap.org/specials/interactives/wdc/guantanamo/

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