Gilles Vincent, Beso de la Muerte
Federico Garcia Lorca… A la jeune fille, au jeune homme, dédiant ce feu qui dévore le paysage gris qui l’accompagne, celui de l’amour obscur peut-être, qui lui valut sa fin atroce, l’horreur pour dernière image, l’angoisse du ciel devant les préjugés tenaces, orduriers, le monde renversé, noyé sous des larmes de sang qui dessinent avant l’heure le décor où l’Europe va se consumer. Fedérico, "torche glissante", au fond d’une fosse assassiné. "Ce poids de mer" qui vient battre nos temps desséchés, lit de détresse parmi les ruines européennes, et la passion, cette science amère qui aujourd’hui encore nous tend les bras.
Federico assassiné atrocement un jour d’août 36, parmi les grappes d’anarchistes et de communistes exécutés sauvagement au long des routes phalangistes. El Capitan, dans ce roman, officiant sous son épais manteau de cuir, livrant Garcia Lorca à la vindicte fasciste, l’humiliant une dernière fois, le torturant avant de le jeter dans une fosse pour le recouvrir des cendres de l’Espagne agonisante. Que reste-t-il de Federico Garcia Lorca ? La Passion d’un monde cloué lui-même à son propre pilori, non pas le désir de Révolte, mais l’agonie psychotique d’une idolâtrie trop personnelle pour faire monde.
Il reste ce jeu de bascules et de retournements. Un roman, moins hard-boiled que policier, soumis aux lois de l’intrigue qui disposent de l’art romanesque pour le consumer en une machinerie maniaque et compulsive. Notre site en réalité, obscène, qui nous ferait volontiers désespérer de notre propre histoire. Il reste Thomas, le flic épuisé, lardé de cauchemars qui le rongent, alerté le soir de son mariage par l’appel de son ex –nous ne sommes plus que des ex, ex-révolutionnaires, ex-gauchistes, ex-humanistes, rien d‘autre que des vies consumées, empêtrées dans leurs cendres. Thomas interloqué au bout du fil, qui a mis tant de temps à refaire sa vie sans y parvenir tout à fait, son ex dans un souffle appelant à l’aide, retrouvée le lendemain carbonisée sur une voie ferrée aux alentours de Marseille. Et Garcia Lorca, l’effigie qu’elle dévorait des yeux, exhumé pour livrer une dernière fois sa ferveur à une époque qui en manque. Son ex qui a coursé les survivants d’un autre monde, accumulant les preuves infaillibles de la corruption des socialistes espagnols qui créèrent en 1984 le GAL, ces commandos d’action terroriste voués à l’exécution sommaire des membres de l’ETA, avec la bénédiction de Felipe Gonzalez, qui n’en fut jamais inquiété. Des commandos fascistes à la solde des socialistes ! Même personnel que sous Franco, El Capitan toujours lui, officiant toujours dans cette ombre primitive… S’en soucie–t-elle seulement, l’ex de Thomas, que seule l’effigie de Federico consacrait ? Thomas donc, vole à son secours, accourt à Marseille, rejoint Aïcha, le commissaire de la diversité, jusqu’à ce que tout bascule et se retourne, dans cette mise en scène terrible où l’on dénonce les bassesses et les compromissions des uns (les socialistes) et des autres (les anciens franquistes), pour mieux les recouvrir d’une cendre plus froide encore, la nôtre, sous les traits de cette femme abîmée dans le fantasme de Federico, sa seule raison de vivre. Que la police de Chirac ait fermé les yeux sur les actions du GAL, que ce GAL ait été commandité par des socialistes pour organiser une politique terroriste d’Etat n’importe plus. La vengeance est odieuse, son retournement ouvre une plaie béante sous nos pas : c’est donc tout ce qu’il nous reste ? Cette machine romanesque qui dévore tout ? Il ne reste de Federico Garcia Lorca qu’une défroque grimaçante, qui nous rend les honneurs de notre déshonneur. L’intrigue est maîtresse, qui délivre le vrai message tout à la fois du récit construit par Gilles Vincent, et de l’Histoire qui est nôtre : la passion de l’intrigue, cette science amère où nous nous sommes tant abîmés.
Beso de la muerte, Gilles Vincent, éd. Jigal, coll. Polar, février 2013, 248 pages, 18 euros, ISBN-13: 978-2914704977.