EXOTISME ET NATIONALISME
Le XIXème siècle fut très largement celui de la montée en puissance des nationalismes. Certes des nationalismes qui, en Europe en particulier, reposaient sur la promotion des différences identitaires, qu'ils combinaient avec une volonté d'émancipation vis à vis des despotismes politiques. Mais le XIXème siècle, nous font remarquer Laurent Cassagnau et Gérard Raulet, fut aussi celui de l’émergence de l’exotisme. Une émergence massive qui plus est, qui transforma radicalement les cultures européennes. Or, cet exotisme portait en lui une menace : celle de remettre en cause les identités «nationales», tout autant que les cultures politiques et les consciences culturelles. Héritant de ce paradoxe, comment notre siècle s’en est-il sorti ?
Laurent Cassagnau et Gérard Raulet observent tout d’abord qu’en ce qui concerne les consciences culturelles, au fond, le cadre à l’intérieur duquel s’exprimait les conflits de pouvoirs symboliques relevait toujours d’une sorte de querelle des Anciens et des Modernes, particulièrement sensible dans le champ littéraire. Les Modernes l’emportèrent, on le sait, mais en traçant un singulier périmètre autour d’eux : on avait d’un côté la référence d'un modèle culturel universel qui fondait la norme de l’humanisme occidental, et de l’autre, la poussée d'un relativisme culturel précisément né dans le sillage de l'exotisme.
Le colonialisme hébergea un temps ce paradoxe. Mais, tentative de conciliation de la contradiction qui s’était fait jour entre particularisme et universalisme, et fruit d’une conception "éclairée" de la raison héritée du Printemps des Peuples, il subit avec la guerre de 14-18 un revers sérieux, les puissances coloniales laissant éclater au grand jour leur nature très peu « civilisatrice ». A la fin des années 1920, nombre d’auteurs, tels Antonin Artaud, René Daumal, Paul Nizan, Hermann Hesse, E.M. Forster et tant d’autres, ouvrirent de sérieuses brèches dans la confiance de l’Occident en lui-même, donnant à entendre que l’Orient n’avait pas de leçon à recevoir, et peut-être même, à l’inverse, que nous avions beaucoup à gagner à l’écouter. Les parcours d’écrivains comme Keyserling, Guénon, Daumal, Hesse, etc., qui tentèrent de donner forme à ce genre d’écoute, en témoignèrent avec force.
La mise en question des ré-assurances identitaires prit par la suite un tour plus radical, battant presque en brèche la philosophie occidentale de l’Histoire. «Presque» : car si le long débat entre particularisme et universalisme, qui occupa l’Europe tout au long du XIXème siècle et une bonne partie du XXème semblait prendre fin, c’était pour réactualiser ses prémisses dans l’opposition construite à sa suite entre multi-culturalisme et mondialisation. Un faux débat caractérisé, nous disent nos auteurs, par «l'acceptation simultanée d'une référence unitaire en matière de science et de technologie et d'un "humanisme" éclaté, décentré, qui admet certes que l'individu se construise en empruntant à plusieurs cultures», mais sans réelle traduction dans la pensée politique.
La culture politique française, imprégnée par le multiculturalisme hérité de la "communauté française" du temps des colonies, devait ainsi rester fidèle à sa très vieille pente identitaire. L'épopée coloniale avait reconstruit un récit intraitable qui enfouissait sous son discours d’autorité la diversité qui avait un tant menacé de faire éclater la logique univoque de l'histoire universelle. La défaite, en définitive, qu’un pays tel que le nôtre n’a pas su dépasser, c’est que le colonialisme n’a pu relever le défi de la diversité qu’au prix de l’affirmation du nationalisme et qu'il a ainsi fortement contribué à dresser les esprits les uns contre les autres. Fondant in fine, pour les années à venir – les nôtres- cette pseudo alternative qu’affronte aujourd’hui la philosophie politique contemporaine dans le débat biaisé entre multi-culturalisme et mondialisation. Car au fond, ce qui est réellement en jeu ici, c'est la capacité de la pensée politique contemporaine à maîtriser la complexité du monde et sa polyphonie. Challenge que nos auteurs, à partir de la relecture du complexe historisme / nationalisme, entendent relever, dans une réflexion épistémologique de fond sur le discours philosophico-politique contemporain. Des auteurs à suivre, donc !.—joël jégouzo--.
EXOTISME ET NATIONALISME, de Laurent Cassagnau, Gérard Raulet.
On peut lire leur stravaux sur le site de la revue Caïrn, revue de sciences huimaine set sociales, à l’adresse suivante :
http://www.cairn.info/
« Chaque époque devra de nouveau s’attaquer, à cette rude tâche : libérer du conformisme une tradition en passe d’être violée par lui » (« sur le concept d’histoire » in Ecrits français, Folio, 1992, p. 436).
Passagen, de Walter Benjamin, sous la direction de Gérard Raulet, Suhrkamp Verlag Kg, août 2007, (langue : allemand), 455 pages, 15 euros, ISBN-13: 978-3518294390.
L’exotisme de l’intérieur Tentative d’état des lieux épistémologique
par Gérard RAULET, L'Harmattan, revue L'Homme et la société, 2003/3 - N°149
ISSN 0018-4306 | ISBN 2747555445 | pages 75 à 103.
La fin de l'exotisme : Essais d'anthropologie critique, de Alban Bensa, éditions Anacharsis, mars 2006, coll. Essais, 364 pages, 21 euros, ISBN-13: 978-2914777247
Laurent Cassagnau et Gérard Raulet observent tout d’abord qu’en ce qui concerne les consciences culturelles, au fond, le cadre à l’intérieur duquel s’exprimait les conflits de pouvoirs symboliques relevait toujours d’une sorte de querelle des Anciens et des Modernes, particulièrement sensible dans le champ littéraire. Les Modernes l’emportèrent, on le sait, mais en traçant un singulier périmètre autour d’eux : on avait d’un côté la référence d'un modèle culturel universel qui fondait la norme de l’humanisme occidental, et de l’autre, la poussée d'un relativisme culturel précisément né dans le sillage de l'exotisme.
Le colonialisme hébergea un temps ce paradoxe. Mais, tentative de conciliation de la contradiction qui s’était fait jour entre particularisme et universalisme, et fruit d’une conception "éclairée" de la raison héritée du Printemps des Peuples, il subit avec la guerre de 14-18 un revers sérieux, les puissances coloniales laissant éclater au grand jour leur nature très peu « civilisatrice ». A la fin des années 1920, nombre d’auteurs, tels Antonin Artaud, René Daumal, Paul Nizan, Hermann Hesse, E.M. Forster et tant d’autres, ouvrirent de sérieuses brèches dans la confiance de l’Occident en lui-même, donnant à entendre que l’Orient n’avait pas de leçon à recevoir, et peut-être même, à l’inverse, que nous avions beaucoup à gagner à l’écouter. Les parcours d’écrivains comme Keyserling, Guénon, Daumal, Hesse, etc., qui tentèrent de donner forme à ce genre d’écoute, en témoignèrent avec force.
La mise en question des ré-assurances identitaires prit par la suite un tour plus radical, battant presque en brèche la philosophie occidentale de l’Histoire. «Presque» : car si le long débat entre particularisme et universalisme, qui occupa l’Europe tout au long du XIXème siècle et une bonne partie du XXème semblait prendre fin, c’était pour réactualiser ses prémisses dans l’opposition construite à sa suite entre multi-culturalisme et mondialisation. Un faux débat caractérisé, nous disent nos auteurs, par «l'acceptation simultanée d'une référence unitaire en matière de science et de technologie et d'un "humanisme" éclaté, décentré, qui admet certes que l'individu se construise en empruntant à plusieurs cultures», mais sans réelle traduction dans la pensée politique.
La culture politique française, imprégnée par le multiculturalisme hérité de la "communauté française" du temps des colonies, devait ainsi rester fidèle à sa très vieille pente identitaire. L'épopée coloniale avait reconstruit un récit intraitable qui enfouissait sous son discours d’autorité la diversité qui avait un tant menacé de faire éclater la logique univoque de l'histoire universelle. La défaite, en définitive, qu’un pays tel que le nôtre n’a pas su dépasser, c’est que le colonialisme n’a pu relever le défi de la diversité qu’au prix de l’affirmation du nationalisme et qu'il a ainsi fortement contribué à dresser les esprits les uns contre les autres. Fondant in fine, pour les années à venir – les nôtres- cette pseudo alternative qu’affronte aujourd’hui la philosophie politique contemporaine dans le débat biaisé entre multi-culturalisme et mondialisation. Car au fond, ce qui est réellement en jeu ici, c'est la capacité de la pensée politique contemporaine à maîtriser la complexité du monde et sa polyphonie. Challenge que nos auteurs, à partir de la relecture du complexe historisme / nationalisme, entendent relever, dans une réflexion épistémologique de fond sur le discours philosophico-politique contemporain. Des auteurs à suivre, donc !.—joël jégouzo--.
EXOTISME ET NATIONALISME, de Laurent Cassagnau, Gérard Raulet.
On peut lire leur stravaux sur le site de la revue Caïrn, revue de sciences huimaine set sociales, à l’adresse suivante :
http://www.cairn.info/
« Chaque époque devra de nouveau s’attaquer, à cette rude tâche : libérer du conformisme une tradition en passe d’être violée par lui » (« sur le concept d’histoire » in Ecrits français, Folio, 1992, p. 436).
Passagen, de Walter Benjamin, sous la direction de Gérard Raulet, Suhrkamp Verlag Kg, août 2007, (langue : allemand), 455 pages, 15 euros, ISBN-13: 978-3518294390.
L’exotisme de l’intérieur Tentative d’état des lieux épistémologique
par Gérard RAULET, L'Harmattan, revue L'Homme et la société, 2003/3 - N°149
ISSN 0018-4306 | ISBN 2747555445 | pages 75 à 103.
La fin de l'exotisme : Essais d'anthropologie critique, de Alban Bensa, éditions Anacharsis, mars 2006, coll. Essais, 364 pages, 21 euros, ISBN-13: 978-2914777247
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article