Erri de Luca, Le poids du papillon
Je l’ai mal lu ce texte. Je n’ai pas su le lire disons. Je suis passé à côté parce que j’ai mis la main sur lui par hasard, après avoir été dépité par la lecture de Tigres en papier d’Olivier Rollin.
Je m’intéressais alors à cette littérature des anciens maoïstes. Je voulais savoir tout à la fois ce que la littérature était devenue entre leurs mains et ce qu’ils avaient fait de la Cause du Peuple, qu’ils avaient prétendus servir un jour.
Jeu d'ombre sur le fil caché de la vie, conte naturaliste si l’on veut, merveilleux à tout prendre, fable toute de patience et de lenteur, je n’avais pas l’esprit à en épouser le merveilleux solitaire, les silences, ce retrait où s’énonçait le règlement d’une dette peut-être enfin recevable bien qu’énigmatique –car devant quelle histoire ? De quel poids en effet, ce papillon d’un ciel bouclé comme ceux de Baudelaire, couvercle de plomb refermé sur nos vies ? De quel poids qui aurait pu s’accorder encore, peut-être, même si peu, au destin d’un monde qui n’a cessé depuis de désoler littéralement les globes et les âmes au point qu’il ne reste à en goûter que son sol d’ombre et de fin de tout ? De quel portage aussi bien, la métaphore du papillon, même si je sais son vol extravagant sinon fortuit, lucide de ne savoir jamais quel destin supporter, au gré du souffle bâché d’un battement d’aile de quel espoir immense, enfin, que nous aurions à lire ?
Je l’ai lu l’attention flottante, comme il arrive parfois, attachée à la ligne d’écriture m’en évadant, distrait par l'empennage d’un insecte entré par la fenêtre, le nez en l’air songeant à autre chose, à cette histoire animale qui suit la nôtre sans jamais l’épouser, l’humain saupoudré de zoê, supportant beaucoup de souffrance dans son attachement au fait de vivre très bonnement, comme s’il y avait une sorte de sérénité -(enèmeria, la belle journée)- de beaucoup préférable au bios des grecs qui s’entend, lui, d’un vivre au sens du groupe humain que nous formons, encore.
Je l’ai lu rêveur, dessinant les contours d’une méditation possible pour revenir trois ligne plus loin à ce chamois tellement humanisé, distingué m’a-t-on dit, dans le raffinement de son assignation allégorique –je l’ai cru, j’ai tenté du moins d’accéder à son registre, j’ai songé à sa sœur emportée sous les ailes de l’aigle, à sa mère assassinée par le chasseur, à ce parti pris narratif tellement raffiné, façonné par une main de maître, sans parvenir à y adhérer, bien que m’efforçant de ruminer les leçons d’Aristote sur la rhétorique, la supériorité du vraisemblable sur le réel, ce distingué qui aurait dû être tout mon souci, ou ma crainte, de ne savoir goûter la préciosité d’un tel parti pris, les subtilités d’une telle écriture.
J’ai reposé le livre plusieurs fois -mauvais signe-, pour le reprendre et le poser encore et m’efforcer d’en achever la lecture, ligne à ligne, humant sous le vent la venue du chasseur de peau. Il peinait dans la montagne. Sa vie m’apparaissait, un peu -ses jambes maigres, sa marche opiniâtre, l’homme aussi vieux que le chamois l’un et l’autre sachant qu’ils devaient en finir avec la vie, s’affrontant (leurs ruses à renifler la roche). J’ai suivi le fil de leur pensée. Le braconnier méditait sur nos révolutions perdues, le temps, le sien au fond, soustrait au temps social. A quatre pattes dans la montagne, défait, il scrutait au loin le chamois majestueux, ce qu’il lui restait d’espoir peut-être, ce chamois, le dos tournée au chant des arbres. Etrange renoncement de cette pure épure poétique, étrange renoncement dans cette douceur nue de la vie comme zoê : l’art du braconnage, non celui des révoltes. Qui raconte néanmoins une histoire, à défaut de croire en l’Histoire, celle de l’homme nu reconstruit dans la présence, folle, de l’animal, à chacun de ses instants. Mais pas au delà. Sinon cet au-delà que précisait le très court récit venant clore l’ouvrage, où l'auteur dessinait sa visite à un vieux pin des Alpes. Cagneux, les racines enfuies de la roche. Je songeais à Ponge, à son Parti pris des choses : l’arbre ne dit rien, la feuille parle l’arbre. De quoi parlait Erri de Luca ? Quelle langue déployait-il, un jour foudroyé, penché sur le vide, traçant autour de lui l’obturation nécessaire où se coucher déjà. Raccommodée, mais d’entre quels bords ? --joël jégouzo--.
Le poids du papillon, Erri de Luca, traduit d el’italien par danièle Valin, éd. Gallimard, avril 2011, 82 pages, ean : 978-2-070-129355.
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