En pleine figure, Haïkus de la guerre de 14-18
10 Mars 2014
, Rédigé par texte critique
Publié dans
#poésie
«La vieille tuile / Saigne d’un rouge frais : / Eclat d’obus) (B. Hirami, Epernay, 13 juin 1917). Quelques syllabes pour dire l’énormité de la guerre, son incongruité. Il y a dans la fulgurance du trait une sorte d’héroïsme. Juste pourtant ces événements minuscules de la vie, une patte d’oiseau, deux flocons de neige qui tardent à toucher le sol, l’événement de la temporalité spasmodique des corps tétanisés. Comment expliquer le choix d’une forme si brève ? La préface à l‘ouvrage n’en dit rien. Tous les poèmes n’ont pas été écrits pourtant pendant la guerre elle-même. Souvent après, dans ces temps où la parole cherchait à revenir, dans ces temps du dépassement de la solitude effarante de l’esprit répondant à celle des corps terrés dans leur propre ignorance. Ceux de ces poilus emmurés vivant dans les tranchées qui peaufinaient jour après jour leur lent travail d’ensevelissement, cette déglutition inouïe. «L’oiseau grelottant, / Boule emplumée sur le toit, / Rêve au nid défunt» (B. Hirami, 1919). Tout est fini mais il reste le décompte, la perte absolue des proches que l’on ne sait encore dans quelle langue pleurer. «Je n’irai pas au cimetière / Je cherche son souvenir, / Et non son cadavre.» (René Monblanc, 1919). Il reste, longtemps après, la difficile mise en forme de la langue pour évoquer ce chaos où l’être déversé ne parvenait pas à se saisir, où le flux héraclitéen des événements interdisait non seulement toute compréhension de la chose, mais toute connaissance de soi, voire toute sensation de ce moi charrié sans ménagement dans le désordre et la confusion de la matière nue. «Le feu sur nous, le feu !» (Anonyme). Le feu où se tenir, grelotter, terrifié, seul sans rien d’autre que cette solitude immense que suppose la forme des Haïkus, pour faire face à l’immanence qui les encerclait, avec la boue pour seule essence, comme seul «être» du poilu. «Un trou d‘obus / Dans son eau / A gardé tout le ciel.» (Anonyme. Quelques syllabes pour franchir enfin l’abîme. Pour rapporter la démesure. Quelle autre scansion sinon celle d’un souffle court lorsque l’être se voit tout près de basculer dans le vide qui l’épouvante ? «Côte à côte l’hiver / Deux buissons de fils barbelés ; / En mai, l’un fleurit d’aubépine.» (Henri Durart, 1er mai 1923). Ces poussières de poèmes (titre d’un recueil de poésie publié par Georges Sabiron en mars 1918), auront fini par aider à surmonter le contingent charnel de cette boue qui bestialisait le soldat et l’enfermait dans son inhumanité souffrante. Mais à quel prix ? «Quelques vivants épars sur la foule couchée / Le général met du rouge / A ceux qui n’ont pas saigné.» (Jean-Paul Vaillant, poèmes inédits).
En pleine figure, Haïkus de la guerre de 14-18, éditions Bruno Doucey, anthologie établie par Dominique Chipot, préface de Jean Rouaud, 31 octobre 2013, 176 pages, 16 €, ISBN :978-2-36229-056-5.