Emmanuel Lepage : Un printemps à Tchernobyl
14 Novembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant
26 avril 1986. L’ex plus grave accident nucléaire se produisait à Tchernobyl. Vingt-deux ans plus tard, Emmanuel Lepage y est allé, pour en revenir avec ce poignant documentaire en Bande dessinée.
Jamais de blanc. Jamais de couleurs franches et moins encore primaires. Tout est délavé, marron, brun, gris cendré. Parfois, si, l’échappée d’une couleur vite rattrapée. Le tout comme enduit de fines couches de pellicules décollées. Tout a brûlé en 86. Les peaux, les bras, les jambes. Les gens n’étaient plus les uns pour les autres que des objets radioactifs. Leurs chairs détachées des os, les morceaux de poumon, de foie, recrachés par la bouche. Là-bas. On ne sait plus vraiment où. Abandonnant leurs maisons, grattant le sol, les poteaux, les palissades, griffant leurs noms d’une signature affolée. Là-bas : ce dont personne ne parle plus. Même si le nuage radioactif glisse encore, de case en case. Et ce rappel : l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Autriche, l’Italie, etc., avaient interdit la consommation du lait sur leur territoire. Pas la France. Alain Madelin affirmait alors : "Il n’y a aucun problème en France". Il ne fallait pas fragiliser la filière du lait. EDF ouvrait grand ses portes aux journalistes : "Il n’y a aucun problème en France", le pays le plus nucléarisé du monde par habitant pouvait dormir tranquille. Mais à deux jours de train de Paris, on évacuait par centaines de milliers les gens. Le baptême du feu de la fameuse Glasnost de Gorbatchev. Déjà les liquidateurs déshabillaient leur sacrifice. Combien furent-ils ? On ne saura jamais. Entre 500 000 et 800 000. Certains ont survécu. Ils touchent 67 euros de pension par mois. Emmanuel Lepage les a rencontrés. La thyroïde arrachée, leurs enfants difformes. Trois millions d’enfants devraient subir un traitement à vie. Beaucoup mourront avant d’arriver à l’âge d’homme. C’est aujourd’hui. Entre 1986 et 2004, plus d’un million d’ukrainiens sont morts des suites de l’accident. C’est aujourd’hui. Pas hier. Et demain donc. D’autres meurent déjà. Encore. Toujours. Tchernobyl. Des artistes se sont installés tout près du périmètre interdit. Emmanuel Lepage est membre de leur association. Ils témoignent. La zone autour d’eux est décharnée. Défigurée. Désagrégée. Partout traînent des carcasses d’animaux abattus par l’armée. Contaminés. Mais des paysans sont revenus habiter leur terre. Malgré le crépitement des compteurs Geiger. Sur la grand place de Tchernobyl trône toujours la fête foraine. La grand roue grince toujours au vent. Partout règne l’illusion d’une région sous contrôle, avec ces hommes en uniforme qui tentent de donner le change, quant tout échappe tellement à l’homme.
Un printemps à Tchernobyl, Emmanuel Lepage, Futuropolis, octobre 2012, coll. Albums, 168 pages, 25 euros, isbn : 978-2754807746.
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