EDWARD SAÎD, L’ISLAM DANS LES MEDIAS.
Les éditions Sinbad publient une étude d’Edward Saïd parue en 1997, fort heureusement actualisée quelques mois avant sa mort. Or de 97 à nos jours, force lui aura été de constater que le regard porté par les médias sur l’Islam a gagné en manichéisme brutal, en hostilité et en bêtise. Au point que l’Islam incarne aujourd’hui la menace suprême, la seule –un vrai complot contre l’humanité. Les préjugés orientalistes, révèle Saïd, les suivant au mot près pour en dresser le relevé méticuleux, balayés naguère au terme d’un effort lui-même déjà impensable, ont fait un fracassant retour et jouissent d’une popularité effarante. Rien ne lui échappe, des discours sur la pseudo mentalité arabe (comme si les mondes arabes étaient "un"), à ceux sur la religion et la culture musulmane, subsumées toutes deux sous le même générique (c’est médical) d’un Islam nécessairement radical. Or l’Islam, rappelle Saïd, ne définit qu’une petite part du monde musulman, fort de plus d’un milliard d’êtres humains, est-il bon de rappeler ! Et cet Islam, en outre, n’est pas soluble dans le terrorisme…
Aucun autre groupe religieux ni culturel, démontre Saïd, n’est soumis de nos jours à pareil régime. Et de pointer les intellectuels complices de ce laisser-faire, alors que dans le même temps, depuis 1991, aux Etats-Unis même, un groupe de recherche a été formé, doté de moyens conséquents –on l’imagine !-, qui vient de publier une première conclusion à ses travaux, et en cinq volumes encore, avouant qu’au vrai, toute définition plausible du fondamentalisme est impossible, et qu’on ne saurait l’associer à l’Islam qu’abusivement et en toute ignorance de la diversité des mondes musulmans et arabes… Mais non. Rien n’y fait. L’Islam demeure associé à la haine de toute pensée politique, à l’idée de ségrégation sociale, à celle d’infériorité civilisationnelle, à celle du déficit démocratique, etc. A croire ces médias, l’Islam serait une religion psychotique, dissimulant à grand peine une idéologie néo-fasciste, violente, irrationnelle. Bref, intrinsèquement et parce que ce serait inscrit dans son histoire comme un horizon indépassable (ses gènes, pour un peu !), l’Islam serait une menace pour le monde libre. La dernière même, c’est promis, couvrant les Unes, remplissant les vides éditoriaux. Le tout sans le moindre débat. Chacun y allant de son poncif, de son mensonge, de ses approximations douteuses quand bien même ce chacun appartiendrait à la communauté scientifique. Du reste, observe Saïd, on n’a jamais connu, dans l’histoire des sciences humaines, un tel débordement de bêtise dans le monde universitaire.
Qu’y a-t-il donc derrière une telle unanimité ? Qu’y a-t-il donc derrière cette insistance à souligner le caractère menaçant de la foi, de la culture, des populations musulmanes, sinon un fol aveuglement qui nous détourne de réaliser que les Etats-Unis bombardent, envahissent, occupent les pays musulmans et n’ont cessé d’être en guerre, depuis la Libération, contre les Peuples du monde pour asseoir leur domination !
La couverture médiatique de l’Islam, au fond, obéit à une logique suicidaire, au moins pour les pays qui se sont placés dans le giron des Etats-Unis, sinon génocidaire, à force de construire le musulman comme l’autre de l’humain.
Arabes, islamistes, musulmans, constituent désormais une seule et même cible qui articule une composante fondamentale de la politique de domination américaine. Placer ainsi les musulmans, comme le font les américains, au centre d’une attention thérapeutique et punitive, ne peut qu’inquiéter, ne devrait qu’inquiéter ce monde soit disant libre, qui ne sait faire la part des choses. --joël jégouzo--.
Edward W. Saïd, l’islam dans les médias, éd. Sinbad, Actes Sud, traduit de l’anglais (américain) par Charlotte Woillez, sept. 2011, 282 pages, 24 euros, ean : 978-2742-782406.
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