Edgar Feuchtwanger : Hitler, mon voisin.
Munich, 1929. Edgar a cinq ans. L’oncle Lion Feuchtwanger est célèbre. Ecrivain, essayiste, il vient de faire paraître La vraie histoire du juif Süss, qui caracole en tête des ventes de librairie, à égalité avec Mein Kampf, de Hitler, un petit homme irascible qui vit dans l’immeuble juste en face de la famille d’Edgar.
Edgar se souvient. Les nuées de pauvres venant frapper aux portes des appartements, l’oncle Lion dénonçant à la radio Hitler, affirmant qu’un jour prochain cet homme parviendra à ravir le pouvoir en Allemagne, et qu’il exterminera les juifs. Hitler, Lion ne le connaît pas vraiment. Sinon de réputation, bien qu’un jour Hitler soit venu au café qu’il fréquente, le saluer alors qu’il dînait avec Brecht. La notoriété de Lion était telle que le servile Hitler attendait de lui une aide pour la publication de son manuscrit. Il ignorait alors que Lion était juif.
Edgar croise tous les jours Hitler, un homme au regard dur, perçant. Le monsieur d’en face. Sur le chemin de l’école il passe devant son immeuble, où des SA montent la garde jour et nuit. Des gens vont et viennent, lui rendent visite, font ce curieux signe de la main, bras tendus. Lion vient aussi assez souvent manger à la maison. Un jour il gare sa voiture juste devant l’immeuble de Hitler. Ce dernier descend, la rage aux lèvres. Un attroupement se forme. Pour Lion, Hitler est un voyou, "un comploteur à la tête d’une bande de vauriens". 1930. Mein Kampf est un énorme succès de librairie. Mais La véritable histoire du juif Süss lui vole la vedette. A parts égales. Etrange duo que ces deux grands succès de librairie dans une Allemagne qui retient son souffle. Le chômage emporte les esprits. La misère frappe sauvagement. Hitler se déguise en petit-bourgeois pour rassurer l’Allemagne fébrile. Mais dans leur rue, ce sont des voyous qui débarquent, observe le petit Edgar. Des tribus de guerriers qui viennent terroriser les femmes et les enfants. Edgar a peur. Ils déambulent, souvent ivres, marquent le pas devant l’immeuble de Hitler, braillent qu’ils sont des surhommes au sang pur… Aux dernières élections, Hitler n’a obtenu que 3% des suffrages. Mais Lion en est convaincu : cet homme prendra le pouvoir. Edgar a peur. Il note dans ses mémoires cette montée d’une atmosphère de plus en plus lourde, de plus en plus menaçante. La famille cache maintenant qu’elle est juive. Dans les bars enfumés, le racisme et l’antisémitisme s’expriment sans retenue. La silhouette de Hitler se dessine tous les soirs derrière les rideaux de son salon, tout au sommet de l’immeuble qu’il habite. Hitler contemple sa nuit allemande. Le matin, il fait racheter tout le lait disponible dans le quartier, pour le confisquer, provoquer une pénurie artificielle. La ruse est énorme, mais elle prend. Un jour, Edgar se retrouve nez à nez avec lui. Hitler le regarde, avec ce dégoût si caractéristique qui était le sien pour les enfants. Goebbels vient de plus en plus souvent frapper à sa porte. Un électeur sur cinq vote désormais pour Hitler. On ne parle que de lui. 1932. Les SA de Hitler marchent au pas dans la rue, des foules féroces occupent le quartier jour et nuit, acclament Hitler. Les nazis sont devenus la plus grande force politique du pays. Désormais il faut fuir. La famille Feuchtwanger le sait. Il faut quitter l’Allemagne…
Hitler, mon voisin : Souvenirs d'un enfant juif, de Edgar Feuchtwanger et Bertil Scali, éd. Michel Lafon, janvier 2013, 295 pages, 18,50 euros, ISBN-13: 978-2749917672.
liens vers des chroniques d'ouvrages de Lion :
http://www.joel-jegouzo.com/article-le-juif-suss-de-lion-feuchtwanger-110684077.html
http://www.joel-jegouzo.com/article-exil-de-lion-feuchtwanger-110683491.html