Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La Dimension du sens que nous sommes

DU SOMMEIL, DES SONGES, DE LA MORT, TERTULLIEN LE BERBERE.

6 Janvier 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

klossowski.jpgL’auteur de Roberte ce soir, chef d’œuvre d’érotisme intellectuel, publie dans cet ouvrage la traduction de quatre chapitres du Corpus Christianorum de Tertullien (vers 155-225 après J.-C.). A ce dernier l’on croit toujours devoir le fameux "Je crois parce que c’est absurde", quand le texte original pointe un très puissant "Je crois parce que c’est impossible". Mais qu’importe : ce père de l’Eglise, berbère, avait nourri suffisamment de liberté avec la théologie naissante –et sans doute parce qu’il venait d’horizons culturels bien éloignés des seules provinces occidentales- pour que l’on prit en retour avec lui la même licence. Offrant un pendant original latin, la traduction est élégante, dans la droite ligne de l’émerveillement des symbolistes français à l’égard de Tertullien, défricheur de la langue latine et de sa civilisation, qu’il ne cessa d’irriguer de culture arabe. Traduction élégante donc, ce qui est révéler tout de même une déception devant l’audace d’un Tertullien, même si cela peut paraître exagéré aux yeux de la critique savante, qui ne releva que 34 mots qui soient une création absolue chez lui. Mais audace quand même, de la part d’un auteur qui s’empara du latin avec une rare vigueur en n’hésitant jamais à le surcharger d’expressions énigmatiques –que le sens ne nous soit jamais donné d’emblée, qu’il conserve un peu de cette opacité qui oblige à relever le défi de la pensée, dès lors qu’elle est levée… Si bien que l’on aurait aimé moins d’élégance et plus de rugosité, pour que les mots se ruent dans l’esprit sans façon, plutôt qu’ils ne séduisent et s’adressent au trop bon goût français, même si la malice de Klossowski enchante ça et là, ouvrant la question de l’âme et celle du corps à cette dimension sensuelle de l’Incarnation qui souvent fit défaut dans la doctrine de l’Eglise.

 Cela dit, les chapitres choisis par Klossowski sont au cœur d’une tentative très spécifique à cette région du monde, nos origines arabes au fond, d’adapter les thèses stoïciennes à la doctrine chrétienne. Solidaire du corps, le statut de l’âme ne pose vraiment de problème que dans le sommeil, le songe ou la mort. Là s’ouvrent les seuils où se joue son union au corps. Il faut rappeler ici qu’en hébreu, l’âme ne se distinguait en rien de l’homme. Or Platon avait introduit une dichotomie qui risquait d’être fatale à l’anthropologie chrétienne. Il s’agissait donc, pour Tertullien, d’en repenser l’unité quasi corporelle, à la lumière des interrogations qui traversaient l’humanité nouvelle. Si le souffle divin ouvre à l’étendue, si le verbe lui-même en laissant entrer la chose dans le mot manifeste à soi seul l’inouï de l’incarnation, l’âme n’est plus en reste qui se corporéise et nous sidère de sa présence plus physique que mystique. --joël jégouzo--.

 

Du sommeil, des songes, de la mort, Tertullien, traduit par Pierre Klossowski, éd. Gallimard, 1999, coll. Cabinet des lettres, 65 pages, 10 euros, ISBN-13: 978-2070756155.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
D
<br /> Vous avez raison pour le ineptum (je n'avais pas été vérifier le texte) reste le qua qui indique la foi avec mais aussi au-delà de la raison, ce qui donne un autre tour<br /> <br /> <br />
Répondre
T
<br /> <br /> oui absolument, j'aime absolument cet au delà de qui n'est point l'au-delà et qui renvoie pour moi à l'inouï de l'Incarnation. Cela dit, je préfère croire parce que c'est impossible, plutôt que<br /> de croire à l'impossible et c'est peut-être la distorsion qu'il nous faudrait, aujourd'hui, grammaticalement introduire pour retrouver quelque chose de cette foi. enfin, il me semble...<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> En fait, la citation exacte est "Credo qua absurdum est" le qua, n'étant pas quia (parce que), signifie ce qui est (neutre pluriel autorisant un adjectif et un verbe au singulier). On pourrait<br /> traduire par "je crois ce qui est absurde (ou impossible)" pour reprendre vos mots. ou "je crois lorsque c'est absurde (ou impossible)". Et merci pour vos articles passionnants<br /> <br /> <br />
Répondre
T
<br /> <br /> merci pour ce commentaire, mais vraiment, sauf erreur de ma part, au delà du point d egrammaire, la citation originale pose INEPTUM EST , et non absurdum... mais oui, merci en tout cas<br /> pour ce point de grammaire latine ! Quant à moi, j'aime à la traduire par un "je crois parce que c'est impossible", et que cette traduction traduit l'embarras ecclésiastique qui fonda en fait<br /> l'un des modes d'argumentation théologique du Mystère d el'Incarnation.<br /> <br /> <br /> <br />