DU DESIR D’ELEGANCE 3/3 (suite toscane 7)
Une Bella Donna se mirait dans les vitres de la Banca Monte dei Paschi, à Sienne. Qu’y a-t-il à voir tout d’abord, dans ce regard qu’elle nous impose, sinon du désir, obscène jusque dans la possibilité de la séduction qui pourrait naître ?
La voir pourtant. Je voulais la voir et peut-être qu’elle me vît, chargé déjà de mon regard si ouvertement désirant. ET m’en sortir dans l’élégance du convenu citadin, à faire croire que je regardais autre chose, l’élégance légitime par exemple, qui l’aurait fait disparaître sous sa représentation commode. Mais cela aurait été la voir sans la regarder vraiment, l’œil sans l’œillade organisant des retrouvailles décentes à deux pas de la banque…
(Surtout ne pas oublier la banque, revenir au monde qui assigne au désir ses expressions bienséantes.)
Je n’étais donc pas dupe. Il s’était passé quelque chose. L’élégante avait substitué un moment dans son image la vision de la chose désirable. Sans que l’on sache jamais ce qui vraiment a été transféré, là.
Je l’observai et croisai enfin son regard quand elle quittait la banque. Ce regard disait le regard supposé de l’autre, lige de l’élégance construite. Un voir nous avait réuni, pudique cependant, tenant dans la distance de l’élégance un désir plus souverain. Ce n’était ainsi plus ce que l’œil voyait qui était en jeu à présent, mais ce que son regard sur elle avait prescrit.
Non pas celui qui avait présidé un temps à la transformation de son corps et que l’on peut apparenter à une technique de fouille, construisant ce corps différé que promeut l’érotisme, corrigeant la ligne des seins, élaborant des perspectives. Non : à présent que tout cela était en place, elle sollicitait une autre manière de la voir, non plus envahi par la montée d’un désir équivoque mais un plaisir plus serein, l’amour des belles choses peut-être, qui vous retient de mourir sur le bord d’une vie ennuyeuse.
Passant outre, logeant mon regard dans le sien, j’ai débusqué ce voir exhibitionniste qui faisait ressortir le caractère licencieux de son être, éveillant au fond du mien une lame tranchante pour ouvrir ses lèvres, affrontant nos regards en une vision obscène, l’un appât de son corps, l’autre nu déjà, érigé, tumescent.
J’ai contourné ce regard annihilant tout voir, empêchant d’exhiber l’œil qui fait voir sans équivoque, et qui se consumait et brûlait le voir qui la hantait et qu’elle masquait derrière son élégance trop vertueuse.
C’était bien sûr m’approcher trop près des sens qui avaient éveillé en elle son désir d’élégance. je me trompais du reste peut-être encore : l’élégance n’est point forcément le désir, mais tout aussi bien sa tombe.
Comment s’approprier cette vision insaisissable qu’elle incarnait ? Comment la dévoiler, la parcourir, aller au devant des vérités enfouies dans son corps même ?
Ce regard détenait le secret du désir sur elle, du trouble qu’elle était, là, perceptible dans cette coupure entre l’œil et le regard à laquelle elle avait travaillé si soigneusement, laissant entrevoir encore, toujours, même ineffablement, ce qu’il y a de plus fondateur dans le voir, désir originaire d’une radicalité impensable.
J’ai vu ce regard et j’ai pensé que pour voir ce qu’elle montrait, elle avait dû elle-même s’approprier un jour, ou au terme d’une longue fréquentation des désirs, l’œil de l’autre posé sur elle, saisi dans la fulgurance de la concupiscence qui lui était venue. Rejouait-elle alors, depuis, cet instant grâce auquel ses yeux avaient vraiment vu le jour en elle ? Une femme dans son intimité. S’engendrant et engendrant du même coup les possibilités visuelles de l’autre. Voyeuse, exhibitionniste, elle avait cherché à s’approprier l’objet supposé de la jouissance visuelle de l’autre, pour faire d’elle son objet de jouissance, un objet particulièrement travaillé, qui profitait de ce que l’autre était en état de jouissance pour le forcer dans son exhibition à s’approprier sa jouissance visuelle.
Mais ce qu’il voit et ce qui relève du sexe ne correspond jamais au sexuel originaire qu’il cherche à voir. D’où la répétition et le risque de rabattre sur un fonctionnement stéréotypé cette construction d’un soi désirable, pour en faire un objet non désirant aliéné à un désir perdu. L’élégante sait trop bien mourir au désir sexuel pour ne pas y échapper, bien souvent (à suivre…). --joël jégouzo--.