Qu’est-ce que nos corps poursuivent ?
4 Juin 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais
La physiognomonie du XVIIème siècle constitua un tournant dans la production d’une nouvelle image du corps humain, la physionomie construisant obstinément une sémiologie de l’extériorité, tout comme la sémiologie médicale, peuplant la surface du corps d’indices affleurant sous les traits morphologiques pour échafauder autant de symptômes qu’il existait de maladies. Le dessin médical, nous apprend Courtine dans son dernier essai, livra alors ce corps à sa conversion indicielle. Il devint une surface, sur laquelle tracer des signes et deviner les troubles profonds que ce corps recelait. La sémiologie médicale subsuma ainsi sous ses signifiés pathologiques les traits du dessin humain. Corps indiciel porteur des signes que tout médecin devait apprendre à lire, codifiés avec rigueur, mais livrant autant le corps à la médecine qu’à la divination…
En 1668, le peintre Charles Le Brun tint une conférence sur l’expression corporelle des passions. Il s’agissait de se défaire de l’ancienne analogie entre les qualités de l’âme et les traits morphologiques du corps, pour construire une nouvelle table d’interprétation et convertir le sensible en énonçable. Peu à peu, ce que nous appelons image du corps prenait pied pour constituer la chronique d’un imaginaire corporel se dégageant non sans difficulté de la vision astrobiologique du monde, caractéristique des conceptions médiévales et des philosophies de la nature de la Renaissance. Peu à peu des hommes fabriquaient cette vision d’un corps référé à lui-même, ordonné par la raison et habité par un sujet.
Mais derrière l’exigence de lisibilité du corps se faisait jour d’autres horizons que le dessin médical pointait. Postures, maintien, gestuelles, les techniques du dessin médical ne cessaient d’interroger au fond la question de la bienséance du corps : qu’est-ce que nos corps poursuivent ? La raison graphique traquant, elle, sa seule logique, se mit à découper des rythmes, des scansions, à produire la liberté d’un corps qui n’était plus relié à rien, ni aux astres, ni à la nature. Loin du travail social de la politesse, loin de l’usage des civilités, elle explorait des mouvements possibles, d’étranges lignes de fuite, des arabesques corporelles que l’on pouvait dérouler à l’infini semblait-il… Sauf que bientôt la raison politique s’en mêla. L’Etat moderne réclamait des corps autant que des visages identifiables. Une lisibilité anatomique doublée d’une lisibilité psychologique et l’une et l’autre liées à un besoin de prédictibilité sociale accrue : si le peuple devait gouverner, il fallait enfermer sa souveraineté dans une stabilité psychosomatique… Un nouveau fonds d’image se mit à encombrer l’espace anatomique, mais les corps, eux, s’acheminaient déjà vers de nouveaux alphabets…
Déchiffrer le corps. Penser avec Foucault, de Jean-Jacques Courtine, éd. Jérôme Million, novembre 2011, 268 pages, 19 €, ean : 978-2-84137-275-1.
Dessins : Charles Le Brun, trois têtes d'hommes en relation avec le lion, et l’effroi.
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