Djebel, Gilles Vincent
17 Septembre 2013
, Rédigé par texte critique
Publié dans
#en lisant - en relisant
Mars 1960. Antoine. Trois heures de garde dans le froid de l’aube kabyle. Ne pas bouger. La quille dans trois jours. Ne pas mourir. L’aurore efface les cris de la nuit. Toute une jeunesse française s’entraîne à la torture qui sera, une génération plus tard, son cauchemar. 7ème régiment des chasseurs. Le capitaine et ses méthodes. Antoine est son radio, pris sous sa coupe. Il songe à Viviane, sa sœur jumelle, et a peur de rentrer «bredouille» : sans avoir tué le moindre fellagha… Le juteux a une idée pour arranger les choses. Avec l’aide de quelques complices, il file au village capturer deux pauvres bougres, ne trouve qu’une vieillard et un gamin de douze ans qui lui paraissent faire l’affaire et qu’il offre à égorger à Antoine. Marseille, 41 ans plus tard. Viviane est belle encore. Elle n’a jamais cru à la version de l’armée selon laquelle Antoine serait mort au combat, à deux jours de la quille. Un appel la confirme dans ses doutes. Une femme lui apprend qu’en réalité Antoine s’est suicidé sur le bateau du retour. Un proche d’Antoine le lui aurait révélé quarante ans plus tard sur son lit de mort. Elle a une lettre, les noms des responsables, sait où retrouver l’ex-adjudant Ferrerro, le promoteur de l’horreur. Vivianne ne croit pas davantage au suicide. Elle recrute un privé, Touraine. Ce dernier file aussitôt à Marseille. Mais l’ex adjudant est dans son cercueil. Comme bientôt, les uns après les autres, tous les protagonistes du drame. A Marseille, Touraine rencontre Aïcha, la commissaire en poste. Belle et tragique, comme l’Algérie. Just divorced. L’affaire est compliquée, l’intrigue, à étages. Mais ce n’est pas le sujet du roman, qui nous embarque bien plutôt dans l’entrelacs d’une mémoire abjecte, confuse, terrifiante. La Guerre d’Algérie n’en finit pas de panser ses plaies, tandis que des diables sortis de leur boîte tentent de faire taire ce passé. La douleur, la haine, la rancœur, la vengeance… Il flotte sur le roman comme une odeur de menthe pourrie. Les affres d’une mémoire obsédée. D’une mémoire qui n’en finit pas de ressurgir pour contaminer au présent les vies qui s’y affrontent, comme celle d’Aïcha, renvoyée brusquement à son enfance, la guerre atroce, les récits douloureux de ses proches, algériens torturés, algériennes violées. Reste la course, folle, contre les meurtriers. Et l’asymétrie hallucinante des innocences barbares, celle d’Antoine devenu un odieux assassin et son alter ego algérien, à une génération d’intervalle, que le désir de vengeance a détruit. Une filiation de l’horreur, qui ne prendra fin qu’à l’extrême ensevelissement de Touraine, sauvé in extremis par l’amour d'une femme.
Djebel, Gilles Vincent, éd. Jigal, mai 2013, 256 pages, 8,80 euros, ISBN-13: 979-1092016048