DESOBEISSANCE : LE RECYCLAGE LITTERAIRE DU POLITIQUE…
Eric Arlix a du talent. A revendre. Il est l’un de nos rares aboyeurs (au sens d’un Karl Kraus), quand il ne reste en France que des miauleurs. Mais un talent mal informé. Encombré par des disciplines vétustes, des mots d’ordre poussiéreux, une vision du monde cadenassée, frugale, indécente même, parfois…
Un talent mal informé, mais habité par une émotion sincère, une rage politique intacte malgré le désabusement qui émerge ça et là. Ecrivain, éditeur, il ne cesse d’entreprendre, de chercher. Le ton pour dire l’inacceptable. La langue pour débusquer le changement à venir.
Eric Arlix n’a ainsi jamais cru aux chances de Ségolène Royal. Il l’écrit dans ce texte rédigé à la hâte -coup de gueule, exaspération- au cours de la campagne présidentielle qui vit triompher l’énorme bêtise à front de taureau du petit Nicolas.
Un texte en outre porté à la scène entre les deux tours avant d’être repris en mars 2008 dans une collection qui s’est donnée pour vocation d’être «dédiée à la littérature contemporaine et à ses textes les plus singuliers». Il n’est pas indifférent d’avoir à l’esprit cette sorte de manifeste au moment de lire ce libelle : on est ici dans le recyclage littéraire du politique, sinon politique du littéraire, la collection voulant «créer des espaces au sein d’une littérature trop timide et trop cloisonnée en prenant le parti de soutenir des textes aux prises de risques nombreuses».
Quelle est la prise de risque, ici ? Devant quoi, devant qui ?
Le texte rappelle tout d’abord le lointain We are l’Europe de Jean-Charles Massera. Stigmate, critique charmante d’un contexte culturelle qui effraie par ailleurs, navre plus souvent, «petite fiction égotripante» aurait pu commenter Eric Arlix -mais certes, c'est grave rigolo Massera.
Reprenons : un texte joué entre les deux tours sous la forme d’un happening sinon d’une performance, dont l’écho nous est offert par des images la convoquant. Le tout instruit par une préface fortiche qui pose d’emblée l’horizon de notre lecture, introduit par l’étant donné duchampien :
«Etant donné l’obligation de sérieux dans la mascarade, et de mascarade dans le sérieux». Mais de quoi donc, encore une fois ? Du discours politique ? De l’élection ? De la candidature de Nicolas ? De celle de Ségolène ? Nous ne le saurons pas encore. De même que nous ne saurons pas de suite ce qu’est ce «règne de l’imbécillité», ou cette «explosion de la bêtise» qui nous sont advenus. Ni, au fond, à qui le texte s’adresse, ou bien ceux qu’ils dénoncent. Patience… l’écriture avance masquée, d’abord occupée d’elle-même, ainsi qu’il en va avec les textes d’avant-garde qui ne se négligent pas.
Cependant, à bien lire, on sent vite poindre un étrange arrière-goût. La référence politique par exemple, qui vient comme un discours d’autorité frapper le lecteur en pleine figure : Hannah Arendt (Qu’est-ce que la politique ?). Une réflexion de fond, assurément. Qui en impose. Sauf qu’Hannah écrivait sur le politique il y a bien longtemps, si longtemps que l’on est en droit de se demander quel usage en faire aujourd’hui. D’autant que l'application qui est faite, là, dans l’écrit qui s’en pare, est des plus troublantes : une petite phrase moralisante, signalant que le vrai danger dans lequel nous serions tombé serait «que nous devenions de véritables habitants du désert et que nous nous sentions bien chez lui»… On aura reconnu le vieux topos de la désaffection du politique. D’où sans doute l’appel à cet autre vieux topos pour y faire face: celui de la désobéissance. Désobéissance civile, civique. On veut bien. Tout comme accepter provisoirement l’idée qu’il n’y a plus de vision du monde possible, comme le prétend l’auteur. N’était qu’il s’agit là d’une forme de paresse particulièrement crasse, en plus d’être commode : voilà qui évite à propos de la repenser… N’était qu’il en reste une, de vision du monde, souterraine, déployée dans le texte sous la forme d’une très ancienne métaphore biologique pour décrire la société dans laquelle nous vivons. Au point que l’on se demande quel bras il nous faudrait couper pour nous débarrasser de cette gangrène (la bêtise, l’imbécillité, l’indifférence politique, etc.) qui nous affecte. Le bras droit ? Hum… Pas celui qui écrit tout de même… Non. Car voici que s’avance très spontanément le bras qu’il faut couper. Il est à gauche bien sûr, trahi par une apostrophe vigoureuse : «Tu es caissière ou ouvrier, le bonheur serait-il de le rester ?».
Voilà donc cette bonne vieille classe ouvrière de nouveau mise à contribution… Elle aurait failli? Sale conne de caissière planquée derrière sa caisse, ce serait elle, la coupable ? Ni la faute à Rousseau, ni la faute aux bobos. Non, c’est la caissière vous dit-on, et voyez comment, Arlix faisant du supermarché la cible number one de son exaspération. Le supermarché..., pas anodin comme expression : ce lieu marchand que fréquentent les classes populaires, et non le Monoprix –de grâce, ne touchez pas au temple bobo de la consommation intelligente et raffinée…
Voilà, tout s’explique. Avec la caissière et le supermarché, on aurait atteint «le summum du truc», comme l’écrit négligemment l’auteur. Ce «truc» que le texte évoque dans une faconde subitement triviale, langue de caissière sans doute, l’auteur abandonnant, le feignant, les hautes sphères de la pensée pour mieux dire la chose qui l’encombre, le heurte, le gêne, fait obstacle à son talent qui finit, comme il se doit, dans la déploration de l’impossible «Nous».
Déployant un vieil appareil langagier (mondialisation, Peuple, Nous), rien d’étonnant à ce qu’il ne puisse dépasser le cadre de l’ironie, dans le dédain d’un Peuple (en réalité introuvable) postulé avachi, dupe. Alors, me direz-vous, pourquoi vouloir sauver ce texte ? Pour la ferveur qui le traverse, et le talent, et sa volonté d’introduire une pause dans la geste d’une histoire politique désespérante. Et puis aussi parce qu’il affirme qu’être de gauche est une fiction. Une fiction peut-être instrumentalisée par le Capitalisme lui-même. A méditer. En tout cas, une narration qu’il faut reconstruire, assurément !—joël jégouzo--.
Désobéissance, bienvenue à la réunion 359, de Eric Arlix, éd. imho, collection et hop, mars 2008, 9 euros, isbn 13 : 978-2-915517-32-3.
Un talent mal informé, mais habité par une émotion sincère, une rage politique intacte malgré le désabusement qui émerge ça et là. Ecrivain, éditeur, il ne cesse d’entreprendre, de chercher. Le ton pour dire l’inacceptable. La langue pour débusquer le changement à venir.
Eric Arlix n’a ainsi jamais cru aux chances de Ségolène Royal. Il l’écrit dans ce texte rédigé à la hâte -coup de gueule, exaspération- au cours de la campagne présidentielle qui vit triompher l’énorme bêtise à front de taureau du petit Nicolas.
Un texte en outre porté à la scène entre les deux tours avant d’être repris en mars 2008 dans une collection qui s’est donnée pour vocation d’être «dédiée à la littérature contemporaine et à ses textes les plus singuliers». Il n’est pas indifférent d’avoir à l’esprit cette sorte de manifeste au moment de lire ce libelle : on est ici dans le recyclage littéraire du politique, sinon politique du littéraire, la collection voulant «créer des espaces au sein d’une littérature trop timide et trop cloisonnée en prenant le parti de soutenir des textes aux prises de risques nombreuses».
Quelle est la prise de risque, ici ? Devant quoi, devant qui ?
Le texte rappelle tout d’abord le lointain We are l’Europe de Jean-Charles Massera. Stigmate, critique charmante d’un contexte culturelle qui effraie par ailleurs, navre plus souvent, «petite fiction égotripante» aurait pu commenter Eric Arlix -mais certes, c'est grave rigolo Massera.
Reprenons : un texte joué entre les deux tours sous la forme d’un happening sinon d’une performance, dont l’écho nous est offert par des images la convoquant. Le tout instruit par une préface fortiche qui pose d’emblée l’horizon de notre lecture, introduit par l’étant donné duchampien :
«Etant donné l’obligation de sérieux dans la mascarade, et de mascarade dans le sérieux». Mais de quoi donc, encore une fois ? Du discours politique ? De l’élection ? De la candidature de Nicolas ? De celle de Ségolène ? Nous ne le saurons pas encore. De même que nous ne saurons pas de suite ce qu’est ce «règne de l’imbécillité», ou cette «explosion de la bêtise» qui nous sont advenus. Ni, au fond, à qui le texte s’adresse, ou bien ceux qu’ils dénoncent. Patience… l’écriture avance masquée, d’abord occupée d’elle-même, ainsi qu’il en va avec les textes d’avant-garde qui ne se négligent pas.
Cependant, à bien lire, on sent vite poindre un étrange arrière-goût. La référence politique par exemple, qui vient comme un discours d’autorité frapper le lecteur en pleine figure : Hannah Arendt (Qu’est-ce que la politique ?). Une réflexion de fond, assurément. Qui en impose. Sauf qu’Hannah écrivait sur le politique il y a bien longtemps, si longtemps que l’on est en droit de se demander quel usage en faire aujourd’hui. D’autant que l'application qui est faite, là, dans l’écrit qui s’en pare, est des plus troublantes : une petite phrase moralisante, signalant que le vrai danger dans lequel nous serions tombé serait «que nous devenions de véritables habitants du désert et que nous nous sentions bien chez lui»… On aura reconnu le vieux topos de la désaffection du politique. D’où sans doute l’appel à cet autre vieux topos pour y faire face: celui de la désobéissance. Désobéissance civile, civique. On veut bien. Tout comme accepter provisoirement l’idée qu’il n’y a plus de vision du monde possible, comme le prétend l’auteur. N’était qu’il s’agit là d’une forme de paresse particulièrement crasse, en plus d’être commode : voilà qui évite à propos de la repenser… N’était qu’il en reste une, de vision du monde, souterraine, déployée dans le texte sous la forme d’une très ancienne métaphore biologique pour décrire la société dans laquelle nous vivons. Au point que l’on se demande quel bras il nous faudrait couper pour nous débarrasser de cette gangrène (la bêtise, l’imbécillité, l’indifférence politique, etc.) qui nous affecte. Le bras droit ? Hum… Pas celui qui écrit tout de même… Non. Car voici que s’avance très spontanément le bras qu’il faut couper. Il est à gauche bien sûr, trahi par une apostrophe vigoureuse : «Tu es caissière ou ouvrier, le bonheur serait-il de le rester ?».
Voilà donc cette bonne vieille classe ouvrière de nouveau mise à contribution… Elle aurait failli? Sale conne de caissière planquée derrière sa caisse, ce serait elle, la coupable ? Ni la faute à Rousseau, ni la faute aux bobos. Non, c’est la caissière vous dit-on, et voyez comment, Arlix faisant du supermarché la cible number one de son exaspération. Le supermarché..., pas anodin comme expression : ce lieu marchand que fréquentent les classes populaires, et non le Monoprix –de grâce, ne touchez pas au temple bobo de la consommation intelligente et raffinée…
Voilà, tout s’explique. Avec la caissière et le supermarché, on aurait atteint «le summum du truc», comme l’écrit négligemment l’auteur. Ce «truc» que le texte évoque dans une faconde subitement triviale, langue de caissière sans doute, l’auteur abandonnant, le feignant, les hautes sphères de la pensée pour mieux dire la chose qui l’encombre, le heurte, le gêne, fait obstacle à son talent qui finit, comme il se doit, dans la déploration de l’impossible «Nous».
Déployant un vieil appareil langagier (mondialisation, Peuple, Nous), rien d’étonnant à ce qu’il ne puisse dépasser le cadre de l’ironie, dans le dédain d’un Peuple (en réalité introuvable) postulé avachi, dupe. Alors, me direz-vous, pourquoi vouloir sauver ce texte ? Pour la ferveur qui le traverse, et le talent, et sa volonté d’introduire une pause dans la geste d’une histoire politique désespérante. Et puis aussi parce qu’il affirme qu’être de gauche est une fiction. Une fiction peut-être instrumentalisée par le Capitalisme lui-même. A méditer. En tout cas, une narration qu’il faut reconstruire, assurément !—joël jégouzo--.
Désobéissance, bienvenue à la réunion 359, de Eric Arlix, éd. imho, collection et hop, mars 2008, 9 euros, isbn 13 : 978-2-915517-32-3.
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