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La Dimension du sens que nous sommes

Déchiffrer le corps avec Jean-Jacques Courtine

1 Juin 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

 

courtine.jpgAucune légitimité disciplinaire n’est revendiquée dans l’essai de Courtine. Bien au contraire, l’auteur revendique une approche lacunaire et non circonstanciée, pour un objet archéologique si l’on peut dire, au sens où Foucault pouvait l’entendre, dont le discours ne serait pas encore unifié.

Courtine s’est donc mis en quête d’arpenter cet objet, le corps, saisi dans nos discours et nos images, en trajets approximatifs, entre histoire et anthropologie, philosophie et littérature. Un livre écrit "avec" Foucault, plutôt que construit rigoureusement, un livre librement cheminé, de ceux que l’on aime puisqu’ils ne sont au fond qu’un pari, de ceux du reste qu’un Foucault aimait se poser.

Le corps comme un texte donc, à déchiffrer. Un texte cauchemardesque aux yeux de Courtine, qui n’a cessé de se dérober bien qu’il se soit affirmé comme un objet écrit bien avant que d’être une matière. Imprimé de l’histoire humaine, mais que l’histoire aurait fini par ruiner, de l’âge classique à l’époque contemporaine, en l’enfermant dans une histoire des corps, non DU corps. Histoire moins des corps au demeurant, que des regards qui scrutaient ces corps, celui des médecins en tout premier lieu, qui allèrent jusqu’à chercher à lire les passions de l’âme dans les traits des visages, pour faire du corps humain un corps de foire.

Les premières émergences du corps comme objet de discours furent, on le voit, pas des plus heureuses… Le corps vint ensuite frapper à la porte des sciences humaines, qui ne surent d’abord pas trop comment le saisir… Si bien que son discours resta longtemps en friche, en suspens, au point que pour Courtine, le corps est finalement une invention théorique récente, qui trouve ses origines dans ce XXème siècle si troublé. Avant, l’âme était le centre de la scène discursive. Et le corps relevait toujours de la médecine et des sciences de la nature, les philosophies l’ayant largement évacué de leur sphère.

L’avènement du corps comme objet de savoir ne daterait ainsi décisivement que du tournant du siècle précédent ! Merleau-Ponty en avança le premier l’idée, qui dut en chercher trace dans les poubelles des laboratoires de médecine, le corps n’y apparaissant que sous la forme d’un morceau de matière ou un faisceau de mécanismes. A son idée, il aura fallu attendre l’invention de la psychanalyse pour voir surgir enfin un peu de chair autour, et l’invention théorique du corps. Husserl, avec son chiasme tactile, et Marcel Mauss en furent les précurseurs, tandis que ce même Merleau-Ponty, tout avisé qu’il fût, continuait obstinément de voir dans le corps l’incarnation de la conscience, poursuivant là une lecture très chrétienne du corps.

Mais malgré Husserl, malgré Mauss et Merleau-Ponty, affirme Courtine, cette naissance resta inachevée : le corps demeura recouvert jusque dans les années 60, 70, ne trouvant pas d’interstice où se loger, coincé qu’il était entre le marxisme, la psychanalyse et la linguistique. Seules les années 70 permirent son irruption, grâce au fabuleux mouvement de libération des femmes et leur slogan qui devait tout changer : "notre corps nous appartient". La lutte des femmes et des minorités sexuelles donc, pour épouser enfin la cause d’un corps que l’on aurait cessé d’enfermer dans les poubelles de l’histoire savante. Les femmes et les minorités sexuelles qui ouvrirent un débat décisif quant à l’invention du corps dans les sciences humaines. Un débat qui plus est politique, ainsi que le comprit très tôt Foucault : le Pouvoir fut exposé dans sa vraie lumière dans les corps mêmes. Il n’était plus permis d’en appréhender la question uniquement sous les espèces des techniques de domination, il fallait en éprouver la densité dans le corps des individus. Surface d’inscription, lieu de dissociation du moi, le corps devint alors une sorte de volume en perpétuel effritement.

  

 

Déchiffrer le corps. Penser avec Foucault, de Jean-Jacques Courtine, éd. Jérôme Million, novembre 2011, 268 pages, 19 €, ean : 978-2-84137-275-1

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