DE LA REALITE DES AMERIDIENS AUJOURD’HUI.
Hommage à Howard Zinn, qui ne fut peut-être pas le premier, mais l’un des plus déterminants à ranimer cette mémoire améridienne, ensevelie ici sous des tonnes de mensonge, là sous des tonnes de culpabilité.
Hommage comme une parenthèse ingénue qui révèle pourtant, brusquement, page après page, la stupéfiante beauté d’un texte qui finit par vous prendre à la gorge.
Tom est de retour dans la vallée qui fut jadis le territoire de sa tribu. Son oncle, un vieil indien que tout le monde prenait pour un fou, vient de mourir dans les bois où il s’était enfoncé après avoir tiré sur les engins de terrassement venus détruire son pays. Mais personne ne comprend ce retour. Il faut dire que Tom est très peu indien après son passage dans les universités californiennes. Partout, il ne rencontre que l’hostilité ou l’incompréhension.
C’est que tout disparaît patiemment dans ce coin paumé du nord des Etats-Unis : après les indiens, au tour des bûcherons de périr - il n’y a plus assez d’arbres pour les faire vivre. Ultime projet pour maintenir un semblant de vie, l’exploitation d’une mine de cuivre, dont une grosse société a racheté les droits avec la complicité de l’état fédéral et ce, malgré la promesse de ne pas toucher à la réserve.
Avec obstination, accablé par le souvenir du vieil homme qui l’a éduqué, Tom ne veut en démordre. Il ne sait plus rien des lignes de crête où l’on chassait le gibier jadis, mais il veut rester là, à faire l’indien sans même savoir ce que c’est que de l’être. Ce faisant, il nous livre une superbe méditation sur la disparition d’une civilisation dont nous n’avons conservé que des images falotes, se demandant, dans ses accès de désespoir, si ce n’est pas des idioties toutes ces histoires d’initiation, d’esprit du loup, de Grand-père corbeau occupé à déchirer l’écorce d’un cèdre rouge pour la transformer en corde. Il songe aux expéditions avec son oncle dans les vieilles futaies, à cette biche qu’ils avaient tuée et dont ils avaient fait offrande de ses os à la rivière. Peut-on vraiment croire encore à ces histoires ? Et si l’on veut y croire, dans quel langage parler ce monde lié à la magie ? Dans cette réserve si fragile, abandonnée de tous, Tom s’irrite d’ignorer à ce point ce que c’était que d’être indien avant l’arrivée des blancs.
L’enterrement de son oncle est l’occasion d’un chapitre absolument bouleversant, ouvrant par-delà la symbolique d’un univers recouvert de ronces à l’abandon du monde, le nôtre, errant dans le vide de son absolu manque de foi. Peinture subtile d’une société en décomposition, la nôtre plus sûrement que celle, disparue, des indiens d’Amérique. Peinture accablante d’une Amérique qui a tellement travaillé son image des indiens montant à cru leur monture et défiant l’homme blanc, qu’aucun indien ne sait plus exister en dehors de cette image, si réductrice quand leurs peuples comptaient une telle diversité, une telle richesse de coutumes et de cultures. Gommés par cette image, ils sont devenus, à l’exemple de Tom, irréels. Un chant peut-être, à peine, un rêve, ou le surgissement d’une voix ténue, celle de Louis Owens précisément, indien lui-même en quête de son histoire et de sa langue. Et si Tom découvre qu’on n’est plus guère indien de nos jours que socialement, stigmatisé dans une marginalité économique partagée par tous les exclus, qui sont légion en Amérique, ce n’est pas pour s’enfermer dans cette découverte mais tenter de la surmonter dans la quête incessante des objets dont cette langue se nourrissait : essentiellement ici les pentes des grands glaciers du nord de l’Amérique. C’est alors, mieux que la disparition d’un monde naturel, l’évocation de la naturalisation d’un monde que nous offre Louis Owens. Un roman certes noir, mais dans la digne tradition des poète transcendantalistes américains, d’un Thoreau par exemple, capable d’écrire sur la nature des pages d’une époustouflante beauté, comme seuls les poètes américains savent les écrire semble-t-il. Louis Owens compose ainsi une ode effectivement superbe à la nature, enfouie elle aussi, recouverte, énucléée par la civilisation occidentale. Une nature dont rien n’a survécu. Car s’il existe encore de vrais loups, il n’y a plus d’indiens pour leur donner vie.
Sur le sentier de sa guerre, Tom commet un attentat en forme de geste désespéré, contre le chantier en train. Pourchassé, il s’enfonce dans la forêt, gravit les glaciers pour s’ouvrir enfin, dans cet ultime combat, à son identité recouvrée : l’esprit du loup font sur lui dans une superbe vision, au moment où le lecteur s’y attend le moins, lui offrant une symbolique d’une incroyable force : c’est tout l’acte d’écrire qui prend forme ici et récupère sa beauté, son souffle, sa vraie nature.—joël jégouzo--.
Howard Zinn est mort le 28 janvier 2010. Militant depuis toujours, universitaire engagé, il travaillait la mémoire d’une Nation plutôt que celle d’un Peuple, très peu unanime au demeurant, et moins encore celle d’un Etat. Son Histoire populaire des Etats-Unis, publiée en 1980, connut un succès énorme, partout dans le monde, sauf en France, où elle fut boudée par les «grands» éditeurs pourtant pourvoyeurs d’opinion, pour ne connaître qu’une publication quasi militante, aux éditions Agone.
Le Chant du loup, de Louis Owens, Editions 10/18, Domaine Etranger, septembre 1999, 298 pages, ISBN-13: 978-2264026484
Le pays des ombres, de Louis Owens, traduit d el’anglais (américain) par Pierre et Danièle Bondil (Traduction), 10/18, Collection : Domaine étranger, oct. 2009, 398pages, 7,40 euros, ISBN-13: 978-2264038968.
Même la vue la plus perçante, de Louis Owens, Albin Michel, coll. Terre indienne, nov. 94, 350 pages, 19,80 euros, ISBN-13: 978-2226075086.
Hommage comme une parenthèse ingénue qui révèle pourtant, brusquement, page après page, la stupéfiante beauté d’un texte qui finit par vous prendre à la gorge.
Tom est de retour dans la vallée qui fut jadis le territoire de sa tribu. Son oncle, un vieil indien que tout le monde prenait pour un fou, vient de mourir dans les bois où il s’était enfoncé après avoir tiré sur les engins de terrassement venus détruire son pays. Mais personne ne comprend ce retour. Il faut dire que Tom est très peu indien après son passage dans les universités californiennes. Partout, il ne rencontre que l’hostilité ou l’incompréhension.
C’est que tout disparaît patiemment dans ce coin paumé du nord des Etats-Unis : après les indiens, au tour des bûcherons de périr - il n’y a plus assez d’arbres pour les faire vivre. Ultime projet pour maintenir un semblant de vie, l’exploitation d’une mine de cuivre, dont une grosse société a racheté les droits avec la complicité de l’état fédéral et ce, malgré la promesse de ne pas toucher à la réserve.
Avec obstination, accablé par le souvenir du vieil homme qui l’a éduqué, Tom ne veut en démordre. Il ne sait plus rien des lignes de crête où l’on chassait le gibier jadis, mais il veut rester là, à faire l’indien sans même savoir ce que c’est que de l’être. Ce faisant, il nous livre une superbe méditation sur la disparition d’une civilisation dont nous n’avons conservé que des images falotes, se demandant, dans ses accès de désespoir, si ce n’est pas des idioties toutes ces histoires d’initiation, d’esprit du loup, de Grand-père corbeau occupé à déchirer l’écorce d’un cèdre rouge pour la transformer en corde. Il songe aux expéditions avec son oncle dans les vieilles futaies, à cette biche qu’ils avaient tuée et dont ils avaient fait offrande de ses os à la rivière. Peut-on vraiment croire encore à ces histoires ? Et si l’on veut y croire, dans quel langage parler ce monde lié à la magie ? Dans cette réserve si fragile, abandonnée de tous, Tom s’irrite d’ignorer à ce point ce que c’était que d’être indien avant l’arrivée des blancs.
L’enterrement de son oncle est l’occasion d’un chapitre absolument bouleversant, ouvrant par-delà la symbolique d’un univers recouvert de ronces à l’abandon du monde, le nôtre, errant dans le vide de son absolu manque de foi. Peinture subtile d’une société en décomposition, la nôtre plus sûrement que celle, disparue, des indiens d’Amérique. Peinture accablante d’une Amérique qui a tellement travaillé son image des indiens montant à cru leur monture et défiant l’homme blanc, qu’aucun indien ne sait plus exister en dehors de cette image, si réductrice quand leurs peuples comptaient une telle diversité, une telle richesse de coutumes et de cultures. Gommés par cette image, ils sont devenus, à l’exemple de Tom, irréels. Un chant peut-être, à peine, un rêve, ou le surgissement d’une voix ténue, celle de Louis Owens précisément, indien lui-même en quête de son histoire et de sa langue. Et si Tom découvre qu’on n’est plus guère indien de nos jours que socialement, stigmatisé dans une marginalité économique partagée par tous les exclus, qui sont légion en Amérique, ce n’est pas pour s’enfermer dans cette découverte mais tenter de la surmonter dans la quête incessante des objets dont cette langue se nourrissait : essentiellement ici les pentes des grands glaciers du nord de l’Amérique. C’est alors, mieux que la disparition d’un monde naturel, l’évocation de la naturalisation d’un monde que nous offre Louis Owens. Un roman certes noir, mais dans la digne tradition des poète transcendantalistes américains, d’un Thoreau par exemple, capable d’écrire sur la nature des pages d’une époustouflante beauté, comme seuls les poètes américains savent les écrire semble-t-il. Louis Owens compose ainsi une ode effectivement superbe à la nature, enfouie elle aussi, recouverte, énucléée par la civilisation occidentale. Une nature dont rien n’a survécu. Car s’il existe encore de vrais loups, il n’y a plus d’indiens pour leur donner vie.
Sur le sentier de sa guerre, Tom commet un attentat en forme de geste désespéré, contre le chantier en train. Pourchassé, il s’enfonce dans la forêt, gravit les glaciers pour s’ouvrir enfin, dans cet ultime combat, à son identité recouvrée : l’esprit du loup font sur lui dans une superbe vision, au moment où le lecteur s’y attend le moins, lui offrant une symbolique d’une incroyable force : c’est tout l’acte d’écrire qui prend forme ici et récupère sa beauté, son souffle, sa vraie nature.—joël jégouzo--.
Howard Zinn est mort le 28 janvier 2010. Militant depuis toujours, universitaire engagé, il travaillait la mémoire d’une Nation plutôt que celle d’un Peuple, très peu unanime au demeurant, et moins encore celle d’un Etat. Son Histoire populaire des Etats-Unis, publiée en 1980, connut un succès énorme, partout dans le monde, sauf en France, où elle fut boudée par les «grands» éditeurs pourtant pourvoyeurs d’opinion, pour ne connaître qu’une publication quasi militante, aux éditions Agone.
Le Chant du loup, de Louis Owens, Editions 10/18, Domaine Etranger, septembre 1999, 298 pages, ISBN-13: 978-2264026484
Le pays des ombres, de Louis Owens, traduit d el’anglais (américain) par Pierre et Danièle Bondil (Traduction), 10/18, Collection : Domaine étranger, oct. 2009, 398pages, 7,40 euros, ISBN-13: 978-2264038968.
Même la vue la plus perçante, de Louis Owens, Albin Michel, coll. Terre indienne, nov. 94, 350 pages, 19,80 euros, ISBN-13: 978-2226075086.
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article