DE L’OBAMANIA FRANÇAISE…
On se rappelle ces scènes de liesses feutrées lors de l’élection d’Obama, les bobos touchés par la grâce, arborant de superbes tee-shirts "Yes we can", rêvant que cette victoire était la nôtre, celle des forces de progrès, l’espérance d’un monde enfin plus juste… Mais qu’en fut-il réellement de ce Président des beaux discours, tant sur le plan extérieur qu’intérieur ?
Obama a mis fin à la guerre d’Irak, oui mais un an après les prévisions de Bush, et en laissant derrière lui les stigmates de son emprise, des villes militaires américaines fortifiées, entre autres. Il a mis plus ou moins fin à cette guerre donc, mais pour en démarrer une autre, en Afghanistan, où en une année, il lança plus d’attaques que Bush en huit ans…
Et sur cet autre grand dossier où on l’attendait, la Palestine, il y eut certes le discours du Caire, mais le silence après l’attaque israélienne de Gaza, le silence sur la reprise des implantations, l’isolement des cadres politiques palestiniens et l’enfermement de la population, toujours soumise à un blocus criminel. Si bien que ce que l’on voit se dessiner en Palestine, ainsi que l’écrit Tariq Ali, n’est rien d’autre qu’une politique visant à créer "des entités palestiniennes avec lesquelles Israël pourrait vivre et dans lesquelles les Palestiniens pourront mourir", à savoir un règlement pour le moins monstrueux de la question palestinienne…
Sur le front de l’intérieur à présent, prenons la mesure phare de la politique de santé d’Obama : la couverture universelle de santé. A quoi se résume-t-elle en fin de compte ? 8 millions d’américains supplémentaires seront couverts au lieu des 36 millions envisagés. Couverts, réellement ? En fait, cette couverture santé reposera sur des contrats de droit privé et non public, avec pour conséquence immédiate l’augmentation des cotisations des assurés et le maintien d’une pharmacie prohibitive, Obama ayant assuré les pharmaciens américains qu’il défendrait leur leadership sur ce marché… Autre conséquence : les choix et la qualité des soins proposés seront confiés à la discrétion des assureurs privés, lesquels, déjà, envisagent de ne plus couvrir les maladies les plus lourdes, les plus coûteuses, ou bien celles pour lesquelles les chances de survie du patient sont minces… Sacré progrès que cet eugénisme rampant, surtout lorsque l’on sait, études statistiques à l’appui, que les noirs américains par exemple, meurent des douze maladies pour lesquelles un traitement efficace existe aux Etats-Unis !
Mais cette approche par le marché, conduisant l’assurance privée à adopter une logique d’élimination des vies "inutiles", aura été présentée en France comme une victoire de l’équipe Obama, les médias occultant dans le même temps les coupes sombres faites dans les crédits de dépistage (-20% par exemple à destination des oncologues)…Présenter comme un progrès social une évolution eugéniste caractéristique du malthusianisme néolibéral qui aujourd’hui a fait école chez les démocrates, voilà qui est un peu fort de café, non ?
Mais il fallait adhérer à l’angélisme d’Obama. A tout prix. A la rescousse, son argumentation spécieuse selon laquelle les forces conservatrices contraindraient à de ponctuels compromis… L’histoire irait dans le bon sens néanmoins –mais on se demande lequel, quand l’Administration Obama a placé à la tête du Comité des Lois sur les médicaments un représentant de la Pharmaceutical manufacture’s Association…
94% des quartiers les plus pauvres aux States sont afro-américains. 93% de l’argent récolté pour la campagne électorale d’Obama venait des zones blanches riches. Le paradoxe n’a ému personne, il fallait bien gagner. Non plus que de découvrir que le Chicago des grandes entreprises l’avait adopté, puisque la population afro-américaine en avait fait de même et qu’en outre, c’était ça, la combinaison gagnante qui allait lui ouvrir les portes de la Maison Blanche. Fin tacticien, Obama promettait de jouer de ces paradoxes pour imposer sa politique sociale, une révolution des mentalités… Mais peut-on encore sérieusement dissimuler qu’Obama n’est qu’une marchandise politique, ainsi que l’écrit Tariq Ali, de qualité certes, mais du capitalisme américain ? Qui a financé Obama ? Exxon, Microsoft, Google, General Electric, mais surtout : Goldman and Sachs, Lehman Brothers, Morgan Chase, des banques, qu’il fallut ensuite renflouer…Des banques qui s’accordaient volontiers de son image de sincérité, de sa rhétorique communautaire, de ses grands plaidoyers humanitaires –ça ne mangeait pas de pain et ça pouvait rapporter gros, la preuve. Car quand il a été question d’agir vraiment, on vit Obama rompre avec le Pasteur Wrigth, devenu infréquentable à force de tonner contre le sort fait aux noirs…Tient-il encore, dans ces conditions, le portrait d’Obama en homme bon dans un monde mauvais ? Veut-on toujours se raccrocher à l’euphorie de la rupture, quand Obama ne parvient plus à dissimuler son conservatisme viscéral ? Que les bobos français aient voulu voir en lui le chef de file d’une nouvelle génération d’hommes politiques, voilà le plus effrayant, qui nous prépare un avenir glaçant à l’ombre de quelque DSK fourbissant la même rhétorique compatissante pour mieux nous endormir et soumettre un système démocratique à bout de force, à l’épreuve de la logique de domination des puissants. Puissants qu’il sert, aujourd’hui au FMI, demain dans le pré carré national. Il n’y a rien à gagner à une pareille élection, sinon à se rappeler que la fonction la plus importante, dans une démocratie, est la fonction d’opposition. Une fonction qu’il nous faut réinventer et prendre à bras le corps. En commençant par rompre avec l’angélisme d’un Obama, ou, au creux même de notre histoire et de notre pensée politique, l’angélisme d’un Tocqueville prédisant la montée en puissance presque mécanique de l’égalité sous la pression de la logique démocratique : ce n’est pas la démocratie qui a permis que davantage d’égalité ne survienne dans notre prétendu Vivre ensemble, ce sont les luttes sociales, seules, qui l’ont permis. –joël jégouzo--.
Obama s’en va-t-en guerre, Tariq Ali, La Fabrique éditions, octobre 2010, 178 pages, 15 euros, ean : 978-2-358-720144.