DE L’ART DU CRITIQUE…
La rentrée littéraire, c’est aussi beaucoup la rentrée de la critique littéraire… Alors qu’on me pardonne ces quelques remarques désinvoltes sur l’art du critique, au moment d’aborder cette rentrée qui va crouler autant sous le poids des ouvrages publiés, que de leurs commentaires. Des remarques en outre très peu argumentées, un temps du moins, n’ayant pas renoncé tout à fait à soustraire ma propre critique au fil du rasoir théorétique.
Quelques remarques pour rien en somme, ou presque, pour pas grand chose, indifférentes au métier, si métier il y a quand les uns et les autres ne font bien souvent qu’affirmer des points de vue plus ou moins pénétrants sur les œuvres visées, jouant plus qu’à leur tour de l’argument d’autorité.
Quelle type de connaissance, au fond, fonde le discours de la critique ? Le savoir qu’un tel propos convoque, au mieux et quand il tente réellement de s’aventurer au delà du simple bavardage littéraire, paraît plus proche de cette mathèsis dont la Tragédie était porteuse que de l’érudition latine. Une mathèsis qui se définirait en fait comme un savoir éthique et non théorétique, et dont la prétention serait de concerner le cœur même de la vie ordinaire en ce qu’il peut être éclairé par une œuvre littéraire. Mimésis, croit-on pouvoir traduire, ce qui n’est pas exact, mais si l’on y tient, disons qu’il faudrait évoquer un savoir qui opérerait précisément dans le champ de la praxis encore une fois, et non celui du théorique. Un savoir vécu, si l’expression pouvait signifier quelque chose en français. C’est cela, souvent, très confusément certes, que tous ceux qui font profession du commerce des livres proclament, éditeurs et critiques, journalistes et écrivains, quand ils parlent de leurs choix, ou de leurs nécessités. Une praxis, pas souvent thématisée et sur laquelle on n’aime guère prendre du recul (avec raison certainement, puisqu’il faudrait se tenir au plus près de sa vie), en justifiant cette clôture par l’affirmation vibrante que seule la praxis apporte une véritable connaissance des choses –et de soi.
C’est de cela au fond que tout critique devrait réellement tenter de s’approcher -non de sa notoriété-, pour construire en définitive une forme d'accès à l’œuvre qui n’épouserait pas totalement sa prétendue autotélie, argument centrale des théories spéculatives, mais avouerait au contraire son caractère résolument hétérotélique, le sien propre autant que celui de l’œuvre, cette hétérotélie qui est précisément l’espace ouvert dans le champ critique par la prolifération des blogs par exemple.
Une critique qui ne viserait donc pas à construire méthodiquement son telos, en connaissant le prix à payer (rater l’œuvre), et qui resterait modestement, rageusement, du côté de l’essai, occupée qu’elle serait à se maintenir coûte que coûte dans ce moment délicat d’une énonciation incertaine que rien ne garantit, sinon le souci qu’on lui porte.
Ce qui ne l’empêcherait évidemment pas de postuler de manière pas moins a priorique la possibilité de l’assentiment universel. Mais d’un assentiment différé si l’on veut, comme courant à corps perdu vers son hypothétique partage, celui, peut-être, de ce for intérieur qui brinquebale loin de l’illusion discursive. Ainsi, s’il y a dévoilement dans la critique, plutôt que dévoilement de l’œuvre par le critique, c’est que chacun y prend sa part –la fonction heuristique dévolue au critique est congédiée ici. C’est grave, redoutable, dangereux. Mais c’est aussi beaucoup le meilleur de notre époque que ce congé des autorités discursives. Encore qu’ils restent nombreux à tenir à leurs titres et décorations, nombreux à célébrer telle signature qui n’a plus rien à dire depuis des siècles, tel critique poussiéreux dont on sait toujours à l’avance ce qu’il pense de la chose qu’il a fait semblant de lire, en toute bonne foi, aveuglé qu’il était par lui-même, et que l’on n’a pourtant pas lue encore.