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La Dimension du sens que nous sommes

DAN WELLS -JE NE SUIS PAS UN SERIAL KILLER

24 Mai 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

killerMrs Anderson est morte. Depuis trois jours. Paisiblement, certes, mais pas dignement. Elle a fini par puer la charogne. Sur les six derniers mois, elle est bien la dernière à être morte de mort naturelle à Clayton Country. Chaleur de fin d’été. Dans le funérarium de la famille Anderson, la mère s’active autour de la table de dissection. La vieille est dessus. Mais un autre corps doit débarquer, celui de Jeb Jolley. Assassiné. Le ventre à l’air. Voilà qui séduit davantage John, le fiston de la famille, quinze ans, qui n’aime rien tant que cette morgue familiale. Pour l’heure il aide sa mère à préparer la vieille. Du coton sous les paupières pour conserver au visage sa ressemblance, la colle à mandibules pour clore les lèvres. On finit par la position «je suis mort», jambes tendues, bras tendus, mains à plat ou jointes sur le ventre. Fixer la physionomie générale avec du formaldéhyde…

A l’école, John écrit les meilleurs rédactions de la classe. Exclusivement sur les psychopathes qui ont décrié l’actualité. Il les connaît tous. Ça lui a du reste valu une convocation chez un psy, qui le suit régulièrement. Alors le meurtre de Jeb Lolley, un vrai cadeau qu’il sait apprécier à sa juste valeur dans cette petite ville qui gît à côté de la voie rapide comme une grosse charogne sans âme. John croit que le destin l’appelle à devenir tueur en série. Il s’est donc construit des règles pour résister à cet appel. Comme de ne jamais regarder une personne trop longtemps. Et s’il enfreint cette règle, il dispose en réserve d’une règle d’évitement : ne pas revoir la personne pendant au moins une semaine. Avant, il disséquait des animaux pour voir ce qu’il y avait dedans. Il se l’interdit aujourd’hui. C’est sa règle numéro trois : ne pas approcher des animaux. Surtout domestiques. Et si l’envie lui prend de transgresser l’une de ses règles, il en a d’autres en réserve, comme de s’efforcer de tourner toujours un compliment aux gens qu’il rencontre. L’ennui avec ces règles, c’est qu’elle le contraignent à passer sa vie en compromis. Et à tout étudier, son comportement comme celui des gens. Tout. Les émotions aussi bien, dans de gros dicos médicaux. Parce que lui, il n’en éprouve jamais.

Le corps de Jeb est donc arrivé en morceaux. John découvre qu’il y manque un organe. En étudiant minutieusement le cadavre, il est convaincu d’être en présence d’un tueur en série. John jubile. L’actualité lui donne vite raison : un second meurtre, puis un troisième, puis un autre, etc., terrifient la région. Et chaque fois, un organe nouveau a disparu. La police panade. John s’interroge : qui, à Clayton Country, pourrait en être capable ? Un marginal ? Il cherche tout d’abord parmi les marginaux de la ville, mais réalise qu’il fait fausse route. Il espionne tout le monde désormais, la nuit surtout, rôdant derrière les ombres, jusqu’à découvrir le tueur. Un être d’apparence humaine, qui ne peut survivre qu’en se régénérant… Le récit bascule dans le fantastique, mais sans jamais cesser de s’inscrire dans une trame tout à la fois noire et policière. L’intrigue cavale, s’amplifie d’un souffle nouveau, une prouesse, une réussite, construisant des personnages denses, sensibles, proches de nous, et travaillant l’intrigue à fronts renversés : le monstre s’humanise, nous instruit du malheur ontologique qui pèse sur lui, citant volontiers William Blake, ouvrant à une vraie métaphysique de la condition humaine, égarée dans son manque, incapable de se remplir, sinon de la vie d’autrui. Un Faust à l’envers, où le monstre veut vieillir, mourir, par amour, n’endosser qu’une identité, fragile, démon à bout de force dans le festin du cadavre qui gît auprès de lui, plein d’affection pour John et découvrant, lui le monstre, le lien émotionnel qui le relie aux hommes, dans cette agonie hallucinée, consumée dans l’échange que l’on pressent, John délivrant sa ville, mais à quel prix ? --joël jégouzo--

 

Je ne suis pas un serial killer , de Dan Wells, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Elodie Leplat, éd. Sonatine, avril 2011, 270 pages, 18 euros, ean : 978-2355840708. 

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