COMMENCER A SE REVOLTER OU COMMENCER DE S’INDIGNER ?
Commence-t-on à, ou commence-t-on de ?
De faire la Révolution ou à le dire ?
De se moquer du monde en raccrochant in extremis les wagons de la Révolution tunisienne en marche, ou de prendre les français pour des idiots ?
Où, du reste, positionner l’idiot dans cette interface syntaxo-sémantique ?
Du côté de la rue, ou de celui du Pouvoir ? Surtout lorsque commencer par faire n’importe quoi ne figure plus parmi les auxiliaires de la soumission populaire…
Commencer à se taire équivaut-il à commencer de se taire ?
Il faut pourtant bien commencer un jour, comme viennent de nous le dire avec force nos amis Tunisiens. Mais le saurions-nous encore, à force de tergiverser et d’attendre une échéance peu encourageante au demeurant ?
Commençons donc…
Dans l’horizon de la forme intransitive du verbe tout d’abord.
Commençons à. Rouspéter… Revendiquer… S’indigner…
En remarquant que commencer, pris comme verbe intransitif, est presque toujours suivi d’un complément adverbial introduit par une préposition dont le sens ressortit aux domaines temporel, spatial ou modal : "Pour les opprimés, le monde commence au fer et finit au bracelet de leurs chaînes"…
Le Trésor de la Langue Française mentionne que commencer à est cinq fois plus fréquent que commencer de. Seul le Grevisse considère commencer de "très fréquent dans la langue écrite".
Il semble en outre que la préposition à accompagne les verbes qui expriment une tendance à l’activité, physique ou mentale, tendue dans l’horizon d’un but.
Tandis que selon l’Académie Française, commencer de marquerait une action qui, alors qu’elle n’en est qu’à ses débuts, se consignerait dans une durée de courte vue : "Le printemps des peuples arabes commencerait de se faire sentir dans les chancelleries européennes…"
Commencer à désignerait ainsi une action en progrès, qui ne demanderait qu’à s'amplifier vers son but, tandis que commencer de s’appliquerait à une action de courte durée, se déroulant jusqu’à l’épuisement de son énergie et ne poursuivant d’autre but que son seul déroulement…
Mais le Trésor de la Langue Française ne semble pas déceler de distinction aussi absolue entre ces deux constructions. Il se contente de mentionner que l’on emploierait plus volontiers " à devant les verbes indiquant que l’action aura un développement (commencer à devenir, à s’alarmer, à comprendre) par opposition aux verbes n’indiquant qu’une simple durée" (commencer de dire, d’écrire, de voter). Les exemples suivants illustrent bien cette dichotomie : dans (1) et (2) l’indigent entame une action de longue haleine orientée vers une finalité, tandis que dans (3), l’action, brève, ne se comprend que d’une durée triviale :
(1) Cet ouvrier commence à parler.
(2) Cet émeutier commence à hurler.
(3) Nous sommes arrivés au moment où la police commençait de charger.
Mais les choses ne sont jamais aussi simples. La praxis du soulèvement, qui ne peut être qu’une praxis du surgissement, a pris des formes souvent déroutantes. Et même si commencer à paraît, dans les études savantes, dominer aujourd’hui la scène syntaxique, rien n’est plus beau qu’un régime inique qui commence de tomber… Quant à Henri Guaino qui manie la parole comme pas deux mais commence sérieusement à nous échauffer, s’il s’accorde volontiers à souligner complaisamment que, pour lui et pour la France, la Tunisie "c'est presque un problème de politique intérieure", conseillons-lui de mieux mesurer le sens des propos qu’il tient et de redouter que les jeunes français d’origine tunisienne, si maltraités chez nous, ne s’en souviennent et ne commence à imiter une de ces leçons dont les Tunisiens, désormais, ont le secret… --joël jégouzo--.