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La Dimension du sens que nous sommes

COMME PERSONNE, DE HUGO HAMILTON (Le tourment des origines) -rentrée littéraire de janvier 2010.

4 Février 2010 , Rédigé par du texte au texte Publié dans #en lisant - en relisant

commepersonne.jpgBerlin phosphore. Sous deux tonnes d’acier, Gregor Liedmann, trois ans, se volatilise. Sa chambre soufflée. Pulvérisée. Partout des cendres, l’Allemagne de Hitler ravagée. Livrée au chaos. La mère de Gregor fuit, hallucinée, anéantie, cherchant partout son fils. Jusqu’à trouver son père, qui a monté une sacrée combine pour échapper à l’enrôlement du dernier carré nazi. Son père qui trouve sur leurs routes de fortune un bambin abandonné. Il y en a tant. Un garçon venu d’on ne sait où, sans nom, sans identité. Il sera Gregor, décide-t-il soudain. Apprenons à l’aimer. Il remplacera Gregor. Mais soixante ans plus tard, ce Gregor là ne sait toujours pas qui il est. Il a épousé une femme, en a divorcé, a eu un fils, et ne sait toujours pas qui il est. L’aventure est commune, dirons-nous. Sauf qu’un oncle lui a jeté un jour à la figure qu’il devait être juif. Sans preuve. Comme ça. Une intuition dans l’Europe de l’après Shoah. Car non pas même qu’il était, mais qu’il devait en somme. Une injonction terrible, folle, grotesque. Que Gregor fait sienne. Il veut se faire juif, moins la synagogue. Se refaire juif dans le Berlin libéré du nazisme. Et Gregor de tourner et de s’enfoncer dans les premiers instants de sa vie, cette histoire de fuite sur les routes du désastre allemand. Histoire d’exil. Alors Gregor s’exile comme s’exila le Peuple Juif. Gregor rejoue pour lui l’Exode et l’altérité. Intrigue pour être juif, survivant d’il ne sait quoi, entraîné à survivre, s’y efforçant, prêt à tout instant à retourner à la vie sauvage. Sait-on jamais : une guerre, un cataclysme, et toute notre belle civilisation par terre nous laisserait orphelins d’une vie à gratter désormais sous la terre. A quoi ressemblerait nos existences, d’ailleurs, si la vie basculait, si une guerre, une épidémie, un cataclysme foudroyait le pays ? Une vraie question, engloutie dans les affres d’une quête insensée : le tourment des origines. Exploré presque scandaleusement dans cette mémoire sensible, pensez : se vouloir juif comme par culpabilité. Et découvrir comment, dans l’Europe coupable, cette judéité réinventée peut «sauver» aujourd’hui ! Le sauver par exemple du harcèlement de flics berlinois tétanisés quand Gregor leur jette à la figure qu’il est «juif». Une revanche ? Pas même : la traversée d’une identité européenne défunte et dont on n’apprendra rien, ou pas grand chose, la Mitteleuropa convoquée singulièrement (elle n’existe plus) dans cette remontée de mauvaise conscience de la vieille Europe érudite, savante, cultivée. Gregor embarrassant jusqu’à la communauté juive elle-même, qui ne sait que faire de sa demande d’être « juif-moins-la-synagogue », et peut-être juste pour appartenir à un destin qui ne fut pas le sien. Un destin dont le lecteur ne saura rien : ce n’est pas le lieu du roman, qui campe sur un vide. Une métaphore peut-être : les Juifs d’Europe centrale ont disparu. Assassinés. C’est ce vide aussi bien que Gregor dévisage longuement dans ses propres traits, sans jamais parvenir à savoir où sa demande prend corps. Et en oubliant, peut-être, que nos origines sont toujours devant nous, jamais derrière.
Un roman ambivalent donc. Comme personne : car il ne reste personne de ce monde, ou presque, tant ce monde a disparu. Grégor, un personnage inventé au final, évidemment : une fiction épousant l’Histoire comme forme de l’imagination que nous nous octroyons. Une biographie sans forme, tant toute biographie ne peut être que labile, toujours forme changeante.
joël jégouzo--.

Comme personne, de Hugo Hamilton, traduction de Joseph Antoine, éditions Phébus, janvier 2010, 330 pages, 22 euros, ISBN-13: 978-2752903778.
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