CLONING TERROR : LA GUERRE DES IMAGES DU 11 SEPTEMBRE A NOS JOURS.
Cloning Terror. W.J.T. Mitchell, théoricien de l’image, voit publier en France une série de réflexions qu’il a consacré à un phénomène sans précédent dans l’histoire de l’humanité : celui de la prolifération exponentielle des images de guerre dans l’imagerie publique des années 2001 – 2008, au point d’évoquer une véritable épidémie pictoriale. Une épidémie dont il serait impossible d’éradiquer les signes : car les images restent, sur internet, le vrai lieu de cette guerre nous dit Mitchell. Et elles y restent pour l’éternité en somme.
Cloning terror, c’est d'abord la réversibilité et la réciprocité de l’emploi de la terreur que Mitchell aborde à travers l’analyse des images produites par les conseillers de Bush dans leur guerre contre la terreur.
Cloning terror, c’est en effet beaucoup la reproduction de la Terreur, sa duplication, son clonage jusqu’en dans la guerre sensée la combattre. On a tous en mémoire ces autres images de terreur, produites par la soldatesque américaine dans les couloirs humides d’Abou Ghraïb et ses mises en scènes infâmes de la torture.
Cloning Terror, une guerre des images bricolée sans intelligence par les américains, mais dont les effets n’ont pas tous été mesurés.
Ainsi de la rhétorique religieuse fanatique déployée par Bush, sa fameuse Croisade contre un Islam largement fabriqué pour la cause, qui voit partout dans le monde triompher le racisme anti-arabe aux conséquences imprévisibles encore.
Ainsi de l’emploi de la métaphore biologique, les discours sur les cellules dormantes de l’islam, de leur prolifération invisible dans le tissu de la société américaine, ou de l’usage de la notion de "terreau", touchant à la fertilité, à la reproduction du genre humain pour aliéner à l’avance des générations d’enfants musulmans innocents.
Cloning terror, une expression floue encore, que Mitchell construit jour après jour pour tenter de faire le pont entre deux phénomènes de société particulièrement centraux dans notre devenir historique : celui du clonage et celui du terrorisme, pour les relier, tenter d’en révéler l’unité profonde, rappelant que l’ère du terrorisme contemporain s’est ouverte en 2001, au moment où la recherche sur les cellules souches faisait l’objet d’un débat national aux States.
Le terroriste et le clone seraient ainsi les figures constitutives du tournant pictorial de notre époque, pour constituer une menace plus profonde encore que celle de l’étranger, car le clone nous ressemble au final, son profil sera demain le nôtre -si l’on n’y prend garde, assure Bush, demain, ils finiront par produire une invisible armée aryenne. Ainsi, il n’y aurait que deux voies pour notre salut : l’une construite par la vieille rhétorique de l’extermination : on ne pourra être certain de les avoir détruit, les terroristes, qu’avec la destruction de leur terreau, à savoir, au fond, l’extermination du monde arabe. Et encore : la logique de la similitude de l’image clonée devrait nous angoisser à un point tel que seule une rhétorique religieuse fanatique saurait nous garder de cette menace : l’ennemi est peut-être déjà intérieur. Il a proliféré partout. Cette guerre devra donc se retourner contre nous, pour éradiquer le musulman qui est peut-être déjà en nous… Exhibez vos souches, que l’islam ne les contamine pas, semble nous dire l’Oncle Sam. On saura bien inventer, allez, la ligne que nul ne devra franchir !
Car Cloning Terror c’est enfin l’invention de la réalité, sinon du réel, ainsi que nous le rapporte Mitchell au détour d’un entretien hallucinant et tellement inquiétant, qu’il a eu avec l’un des conseillers de l’Empire, Ron Suskind affirmant sans façon : "Nos actes engendrent la réalité. Décryptez-la si cela vous chante, nous on agit et on invente cette réalité sur laquelle vous pourrez réfléchir…"
Une réalité grotesque, criminelle, quand on y songe, puisque cette Guerre contre la Terreur se sera muée en guerre d’occupation contre l’Irak, qui faisait un meilleur ennemi qu’Oussama du point de vue des images, et qu’Oussama liquidé, nous ne sommes pas davantage en sécurité… --joël jégouzo--.
Cloning Terror : La guerre des images du 11 septembre au présent, éditions Les prairies ordinaires, sept. 2011, 233 pages, ean : 978-2350960500.