Chomsky – Occupy : la crise est un système
La crise (intentionnelle) nous dit-on, aurait démarré en 2008. Beau conte de fées, quand depuis plus de trente ans, les sociétés occidentales se sont mises à confisquer les richesses produites par le plus grand nombre au profit d’une infime minorité curatrice.
La crise, nous dit-on, se résorbera d’elle-même, dès que la croissance reviendra, ou bien grâce aux nouvelles initiatives européennes (qui de dernière initiative en dernière initiative n’en finissent pas d’accumuler les chimères). Ou par le changement des personnels politiques, Obama aux states, Hollande en France…
La crise prendra fin, nous leurre-t-on encore, grâce aux politiques d’austérité qui sauront nous rendre plus raisonnables…
Mais ce qui devrait d’abord prendre fin, ce sont ces illusions idéologiques déversées à longueur d’antennes pour nous faire croire que cette crise pourrait prendre fin quand elle est fabriquée, orchestrée, intentionnelle. Chomsky, avec tant d’autres, le rappelle à satiété : la crise est un système, l'horizon indépassable du néolibéralisme dont il répète -et il n’est pas le seul à le faire-, qu’il n’est en rien l’héritier du libéralisme philosophique. Le néolibéralisme est au contraire une tyrannie achevée. Un système qui a profité de la croissance du monde capitaliste tout au long du court XXième, une croissance qualitative permise par un saut quantitatif des moyens de production qui n’aura été possible que parce que les Etats ont pu mobiliser la totalité des forces vives de leurs Nations dans les domaines de la production de masse, des transports de masse et des innovations technologiques. Une socialisation de fait de tout l’appareil national de production, qui s’est conclue par le refus de la socialisation du contrôle politique, à savoir : le refus de l’approfondissement du pacte démocratique.
Face à cette formidable montée en puissance de la tyrannie, Occupy représente, aux yeux de Chomsky comme à ceux de nombreux militants, le premier grand soulèvement populaire des Etats-Unis depuis les années soixante.
Reste à savoir comment transformer une force de contestation en force politique, dans un environnement particulièrement hostile, dont deux composantes essentielles échappent radicalement au contrôle populaire : celle de l’information et celle de l’éducation. Chomsky a raison, comme nombre d’autres : c’est là qu’il faut militer. Inventer. Créer. Résister à la médiocrité du personnel politique tout comme à la servilité du personnel médiatique ou à la corruption généralisée des élites, artistiques en particulier. Il faut multiplier les initiatives, informer, dénoncer sans relâche, mais sans jamais adopter le ton et la position de ces élites stipendiées : qu’importe le temps que cela prendra, si nous voulons réellement approfondir le pacte démocratique, il faut laisser les citoyens faire leurs apprentissages d’un autre modèle d’espérance sociale.
A travers des entretiens, des rencontres sur le terrain des luttes, le plus intéressant de l’opuscule, c’est au fond qu’il nous apprend que Chomsky ne peut rien nous apprendre : Occupy est un mouvement intelligent, parce que populaire. Un mouvement qui sait apprendre par lui-même. La démocratie, si elle doit être notre horizon commun, impose de rompre avec la logique des grandes figures, des leaders d’opinion, d’une pseudo intelligentsia qui saurait nous guider vers des cieux plus justes. Et l’opinion est mûre pour ce genre d’apprentissage. Il faut simplement poursuivre, démultiplier partout des contestations pour que les revendications des 99% que nous sommes deviennent un motif central dans l’imaginaire national.
D’une certaine manière, ce genre d’ouvrage est vain : nous avons besoin d’autre chose, d’un autre type de publications, capables de rendre compte de ce que le terrain pense, invente, innove, non de laisser croire encore au mythe des élites.
Occupy, Noam Chomsky, L’herne éditions, traduit de l’américain par Myriam Dennehy, janvier 2013, 114 pages, 15 euros, isbn 13 : 9782851974525.