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6 mars 2015 5 06 /03 /mars /2015 06:30

 

 

christophe-guilluy.jpgLa construction d’une France urbaine par l’Insee offre une vision fausse de la réalité territoriale française, et altère en outre profondément le débat politique. L’Insee prétend par exemple que 95% de la population française vit sous influence urbaine et qu’en conséquence, il n’y a pas lieu de formuler de logique économique ou politique liée à la ruralité.  Le thème a même disparu du débat national, n’y survivant que sous les espèces d’un folklore amusé. Mais comment associer Toulouse à Bourg-de-Péage ?  Comment penser la structure publique de l’emploi dans la France en déprise ? Dans la réalité, il n’existe que 25 aires urbaines en France, et c’est tout. Soit 2 650 communes, regroupant 40% de la population nationale. 2 650 communes qui captent toute l’actualité médiatique, politique, économique de la Nation. Le reste ? C’est 34 000 communes, soit cette immense majorité non pas silencieuse mais étouffée par les pouvoirs publics et la représentation nationale…

 

S’il fallait avoir une vision plus conforme de ce qu’est la France aujourd’hui, il faudrait se la représenter comme déstructurée en peau de léopard, avec des métropoles vitrines de la mondialisation d’un côté, où les fortunes explosent et où les gagnants du CAC 40 se réjouissent d‘une crise dont il ne cesse de tirer profit, villes-monde concentrant les 2/3 de la richesse nationale, et cette France des périphéries, exsangue, abandonnée, méprisée, cette France sans emploi ni avenir qui croupit immergée dans l’agonie qu’on lui a programmée en haut lieu. A savoir donc une vision de laquelle exclure le modèle républicain dont on nous rebat tant les oreilles. Et encore faudrait-il, pour s’en faire une vision plus juste, redessiner encore cette carte pour réaliser que les métropoles bannissent non seulement les pauvres de leurs territoires, y gommant sauvagement toute référence au modèle républicain, non sans cynisme comme il est coutumier en France, mais que ces métropoles sont en outre férocement inégalitaires, disposant à leurs portes, dans ces quartiers dits sensibles des banlieues pauvres,  d’une main d’œuvre d’autant plus corvéable qu’elle peut encore espérer ramasser les miettes des fabuleuses richesses produites au cœur de ces villes-monde.

 

Emmanuel_Macron.jpgLa France des métropoles est ainsi elle-même divisée en deux zones sociales très polarisées : la gentry d’un côté, les bobos, et une armée d’employés pauvres à leurs portes, qui peuvent certes profiter un peu du dynamisme économique des classes possédantes. Au final, ces métropoles fonctionnent à leur tour selon un modèle sociétal rigoureusement non républicain. Les classes populaires, au sein de ces espaces, n’y sont tolérées qu’immigrées paradoxalement, reléguées dans leurs rues, leurs quartiers. Immigrées de préférence, parce que populations fragiles, plus aisément exposées à leur vulnérabilité. Mais il n’y  a pas de mixité sociale envisageable. Les partitions et les parcours scolaires en témoignent, qui depuis trente voient les inégalités exploser en France.

 

La ville-monde est au fond l’outil d’adaptation de la société française mutilée aux normes du néolibéralisme anglo-saxon. Modèle inégalitaire par excellence, tandis que l’angle mort de la mondialisation, selon la belle expression de Christophe Guilluy, dissimule le destin tragique des catégories populaires des pays dits développés.  Le combat engagé par la ville-monde contre ces catégories est d’ailleurs systématique, bien que discret. Il a commencé par la gentrification du cœur des villes et la confiscation des «meilleures» écoles par les élites, pour ne pas dire la privatisation, de l’enseignement publique de qualité.  Un combat méthodique donc. Mené sciemment par l’UMP et le PS, appuyé par des syndicats à leur solde, chacun le sien, laissant se développer avec un cynisme inouï les inégalités qui ont conduit à la sécession des élites françaises du reste de la nation. Quant à la grogne, longtemps la classe politico-médiatique aura cherché à l’identifier sous les traits des casseurs de banlieue, sans même réaliser qu’il n’était plus possible de la contenir dans ce seul périmètre. Car aujourd’hui la colère remonte de partout. Des territoires périphériques tout particulièrement, le plus «inattendu» des acteurs de la vie politique française.

 

sos.jpgLa recomposition économique des  nations a ainsi entraîné une recomposition sociale des espaces nationaux, acculant à la misère ces espaces périphériques ruraux qui forment désormais 80% des classes populaires que l’on voulait voir disparaître de la comptabilité française. Or c’est dans cette France périphérique que commence à se structurer une contre-société qui rompt peu à peu avec les représentations politiques des élites.  Dans cette France des plans sociaux et des oubliés ruraux, séminale d’une nouvelle donne des rapports de force politiques : c’est cette France majoritaire qui vote désormais FN ou s’abstient massivement. C’est dans cette France délaissée qu’une contre-culture émerge, d’une manière brouillonne évidemment, puisque ne disposant pas des outils médiatiques qui lui permettrait de mesurer sa force et son nombre. Mais c’est cette France obscure encore, qui dessine le contour de catégories sociales nouvelles fleurissant sur des géographies nouvelles.

 

Alors bien sûr, pour la comprendre et en saisir le sens et la portée, il faut d’abord s’affranchir de ce scandaleux concept de classe moyenne mis au point par les élites dominantes. Un concept fourre-tout dont le but était de taire l’existence de classes laborieuses prolétaires. Un concept qui s’est forgé dans les discours de l’UMP et du PS précisément au moment où ces classes moyennes commençaient d’être jetées dans la misère. Un mythe que ce concept, qu’il leur fallait déployer pour légitimer leurs choix honteux : c’est au nom en effet d’une majorité imaginaire que nos dirigeants élus ont légiféré depuis ces 30 dernières années.

 

Le statut de ces nouvelles classes populaires, lui, est à présent largement socio-spatial, trans-générationnel et trans-culturel. Et c’est de cette France périphérique dont les colères s’exaspèrent, de cette France qui a compris qu’elle ne devait rien attendre de la classe politico-médiatique qui nous dirige, que naîtra une nouvelle radicalité sociale, poussée par des mouvements identitaires forts, progressistes et/ou réactionnaires, pour la sauver du piège économique qui peu à peu se referme sur elle.

   

La France périphérique, Comment on a sacrifié les classes populaires, de Christophe Guilluy, Flammarion, Collection : DOCUMENTS SC.HU, 17 septembre 2014, 192 pages, 18 euros, ISBN-13: 978-2081312579.

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