CARNETS DE LA GUERRE DU VIETNAM
"De la chair et du sang qui s’accumulent jusqu’à former une montagne de haine dressée toujours plus haute tous les jours plus haute devant nos yeux. Quand, mais quand donc chasserons-nous ces hordes assoiffées de sang de nos terres?" Dang Thuy Trâm
Les éditions Picquier publient un document exceptionnel : les carnets de Dang Thuy Trâm, jeune médecin vietcong. Ce Journal commence le 8 avril 1968, deux mois avant l’offensive du Têt. Dang a 25 ans. Elle est responsable d’un hôpital de campagne, une centaine de blessés recueillis dans les montagnes aux alentours de Da Nang. Dang est une de ces anciennes élèves du lycée de Hanoï, qui a formé des générations d’intellectuels vietnamiens. Issue d’une famille cultivée, son diplôme en poche, elle fit le choix d’aller au front, diriger un hôpital de fortune, sans électricité, sans médicaments, sans anesthésiant, pour soigner coûte que coûte les siens, soulager les souffrances. Une jeune femme forte et fragile à la fois, ne renonçant jamais à ses émotions. Elle restera de fait –c’est particulièrement sensible à la lecture de ses carnets- une jeune femme submergée par l’émotion, manifestant à tout moment une empathie incroyable à l’égard de son prochain.
Fin 65. Les Etats-Unis mettent en œuvre leur politique de la terre brûlée. Ils bombardent sans répit les campagnes, détruisent systématiquement les villages suspectés d’aider l’ennemi. En 67, l’armée US aura ainsi anéanti 70% des hameaux de la zone côtière. La moitié de la population qui vivait là sera jetée sur les routes, nomades errant sans fin d’un bombardement l’autre tandis que les américains rasent au bulldozer leurs villages. Débarque l’Americal, une division spécialement entraînée à cette guerre de sauvages. Colin Powell, commandant du bataillon de la 11ème Brigade d’Infanterie déclarera par la suite n’avoir jamais pu dormir deux nuits de suite dans le même lit, de peur de l’atmosphère barbare qui régnait au sein même de sa compagnie. Le 1er mars 68, une brigade de sa compagnie entre dans Son My, rassemble les femmes, les enfants, les vieillards et en exécute 504. Dang vit dans cette région. Les avions pilonnent les collines, larguent leur défoliant ou des obus au phosphore blanc qui calcinent les corps en deux secondes. En juin 70, l’hôpital de Dang est repéré. La position devient vite intenable : les américains s’acharnent sur l’hôpital en toute conscience de cause. Abandonner les invalides ? Dang le refuse. Le 20 juin, des hordes sauvages de GI’s donnent l’assaut final. Dang est abattue dans sa blouse de médecin, d’une balle dans le front. Ses carnets sont récupérés par les GI’s et confiés à la section d’analyse des documents saisis. L’un des membres de cette section finira par les soustraire à leur destruction promise, pour les restituer en 2005 à la famille de Dang. Publiés pour la première fois à Hanoï cette même année 2005, le succès sera immédiat : près de 500 000 exemplaires vendus, un très fort écho dans la jeunesse, sans doute du fait de l’idéalisme qui traverse l’ensemble des écrits de Dang, et son refus de censurer ses doutes, ses peurs, sa propre souffrance morale. "La Guerre est détestable", affirme-t-elle au moment où, traînant avec elle ses blessés, elle sent passer néanmoins le souffle de la victoire sur leurs têtes : la haine ne peut venir à bout de cet élan de compassion qui soude un peuple tout entier. Peu d’espoir certes, mais les battements d’aile de l’espérance immense.--joël jégouzo--.
Les Carnets retrouvés (1968-1970), Dang Thuy Trâm, éditions Picquier, août 2010, 276 pages, traduit du vietnamien par jean-Claude Garcias, introduction de Frances Fitzgerald, isbn : 978-2-87730-0196-8.