AU-DELA D’OBAMA (sauveur ou symptôme ?)…
Les éditions Lux publient opportunément trois courts textes d’Howard Zinn, le penseur de la contre-Histoire américaine, l’historien des résistances made in USA. Opportunément, c’est-à-dire à l’heure où sont nombreux ceux qui voudraient voir en Obama une sorte de Chef, de Sauveur, lui appliquant quelque chose comme le syndrome français Charles de Gaulle, passablement éloigné de la mentalité américaine, mais aveuglant, au point qu’il nous ferait prendre, à nous français, nos vessies pour leurs lanternes…
Trois courts textes qui en outre valent largement ces gros bouquins que l’on nous refourgue habituellement en guise d’essais, et qui ne contiennent généralement pas l’once d’une réflexion conséquente – marché du livre oblige…
Trois courts textes sur la mentalité américaine, « déchirée », rappelant :
Que les gouvernements américains n’ont tout d’abord vocation qu’à servir les intérêts de l’élite fortunée, qu’ils soient démocrates ou républicains. Mais certes avec allure chez les démocrates, doublée d’une petite coloration sociale, et un cynisme sans frein chez les républicains, confinant aux œuvres de basse rapine.
Que l’histoire des libertés américaines est l’histoire des luttes et des conquêtes des masses populaires, non celle de ses dirigeants.
Et enfin que ce dont les Etats-Unis ont le plus besoin, c’est d’un mouvement social, non d’un nouveau chef, même si l’on peut lire dans l’élection d’Obama le symptôme de cette attente.
Avec beaucoup d’à propos donc, Howard Zinn vient à temps nous rappeler que la Constitution de 1787, celle de Philadelphie, qui commence par ces mots péremptoires «Nous le Peuple…», n’a jamais été que celle adoptée par 55 hommes riches et blancs. Des hommes riches qui mirent en place un Etat de Droit dans le but de prévenir efficacement toute rébellion des groupes sociaux frustrés. De l’autre côté de l’Atlantique, on l’oublierait volontiers… Mais les noirs américains ne s’y sont pas trompés, qui ont su dès les premières heures que cette Constitution n’était pas pour eux… Seulement voilà : l’enseignement de l’Histoire américaine dans les écoles a instruit de belles manipulations, propre à produire, justement, ce trouble qui a vu émerger en guise de sentiment national une mentalité déchirée. Car cette histoire a été ré-élaborée par exemple sur l’idée que la Conquête de l’Ouest était un genre de Marche au travers d’étendues vides, vierges de toute humanité. Exit les Amérindiens, quand cette Histoire fut en réalité celle de la fabrication d’un nouvel Impérialisme.
Une mentalité «déchirée» donc, plutôt que simplement manipulée. Car il a existé dans le même temps cette inscription dans la Déclaration d’Indépendance, de la désobéissance comme nécessité fondatrice du vouloir vivre ensemble américain.
En France, non pas depuis Vichy mais son procès, et encore : disons depuis la révision intellectuelle de son procès (Maurice Papon), l’on sait qu’il ne faut pas nécessairement obéir aux Lois. Pour autant, l’époque contemporaine aura été, et plus encore aux Etats-Unis, celle de la Loi -renforcée par l’abandon de l’idée de révolution et de sa légitimité (les fondateurs de la CIA étaient trotskystes, ne l’oublions pas). Or, nous dit Howard Zinn, dans l’articulation déséquilibrée Loi / Justice, il est toujours possible de tirer les Etats-Unis vers d’autres origines, pour trouver le courage d’injecter une forte revendication de Justice et obtenir des Lois qu’elles soient tout à la fois plus justes et plus «honnêtes»… Si l’époque moderne a été celle de la Loi, sans doute est-il grand temps de passer à celle de la Justice.
Pas moins intéressant : en quelques mots, Howard Zinn pointe les raisons de tant de «souffrances» politiques contemporaines. Elles viennent de ce nous pensions toujours le politique à partir des catégories platoniciennes. Platon invitait à confondre pays et gouvernement. Socrate, sur le seuil de son supplice, l’acceptait au nom de l’idée qu’il se faisait des devoirs du citoyen. Mais il faut en finir avec ces allégeances simplificatrices ! Reste à savoir comment …
Retour à Obama, levant son espoir sur le monde. Mais maintenant les dépenses militaires américaines à un même niveau inquiétant que son prédécesseur. Rapatriant les troupes d’Irak, mais pour les envoyer en Afghanistan. Obama si décevant au Moyen-orient. Alors, Sauveur ? Symptôme plutôt, martèle Howard Zinn, qu’un mouvement social d’ampleur se cherche, qu’une espérance traverse de moins en moins sourdement le pays.
Pour espérer, on n’a pas besoin de certitudes : on a besoin, comme l’invite à le penser le sociologue Luc Boltanski (Critique de la critique) de possibilités. De celles qu’offriraient par exemple en France une vraie opposition (l’effet Obama). Rappelant que Marcuse s’était planté en 1960 dans son analyse de la société américaine, à déplorer tout comme Walter Kaufmann que la génération qui s’avançait était une génération non engagée, au fond, l’analyse de Howard zinn nous renvoie à celle d’un Yves Barel : le silence, aujourd’hui en France, des « minorités invisibles », est assourdissant. Mais l’avenir des luttes, chez nous, reste compromis par l’absence d’un modèle de contestation clair au niveau des élites intellectuelles, plus fascinées par leur confort « égotripant » (Eric Arlix ) que par les vrais enjeux sociaux du pays.
Quant aux Etats-Unis, ils sont toujours à la recherche de leur mouvement social, que la figure d’un Obama dessine en creux. En creux. C’est peu, et c’est beaucoup déjà.—joël jégouzo--.
La Mentalité américaine, de Howard Zinn, éditions Lux, coll. Instinct de Liberté, oct. 2009, traduit de l’anglais (USA) par Nicolas Calvé, 88 pages, 8 euros, isbn 13 :978-2895960867.
Yves Barrel :
http://joel.jegouzo.over-blog.com/article-dissidence-sociale-et-marginalite-invisible--43604149.html
Eric Arlix :