Arthur Rimbaud géographe ? (1854 – 1891)
Rimbaud l’Ardennais doublait son appétit de savoir d’une féroce volonté d’exploration. Tout l’atteste dans ses écrits, le jeune Arthur déjà, défiait le grand espace vacant des plaines autour de lui et cette absence où il voyait, lui, affleurer partout un paysage étoilé. L’étroite vallée de la Meuse, la succession des forges qui font comme un écho au vacarme des enclumes, Rimbaud très loin dans les chemins déjà, allé… Heureux marcheur, rêveur à l’entrelacs des rivières et des forêts, contemplateur de leur ordre secret. La grande route par tous les temps, déroulant devant lui sa géographie sentimentale.
La société savante des géographes lui a donc consacré un colloque. Penchée sur ses écrits, elle a tenté pour nous d’en débusquer les paysages, savourant l’hydrographie des océans, de la Meuse ou de la flache, cette mare des forêts sombres où Rimbaud volontiers s’oubliait. Les géographes se sont disputés ses mérites, jusqu’à s’entendre sur le vrai sens de cette pulsion exploratoire toujours à l’œuvre dans sa vie, et qui offrit à la poésie son seul vrai horizon : non l’assurance de quelque bon mot, mais l’annonce d’un verbe enraciné au plus profond de l’être, jaillit pour «trafiquer dans l’inconnu» (lettre du 4 mai 1881). Rimbaud finalement en possession d’innombrables paysages, des plaines de Souabes à Jérusalem. Croyant un instant qu’il allait devenir géographe pour de bon, s’y employant avec méthode, la société de géographie se montrant même disposée à l‘aider. Rimbaud géographe ? Aucun doute pour les uns, une matière savante somme toute pauvre pour les autres. Rimbaud pourtant dont le nom se fait connaître d‘abord en Italie de son vivant, dans le milieu des explorateurs, qui ne savent rien de son passé poétique. Il partait simplement explorer les confins, osait des routes où personne avant lui ne s’était risqué. Et entre deux courses, rêvait d’écrire un ouvrage érudit sur le Harar ou les Gallas. Il publiera du reste un premier mémoire remarqué sur l’Ogadine. D’autres publications suivront, en Italie, en France, avant que sa renommée ne s’affirme avec la relation de son grand voyage de Tadjourah à Entotto, et de là à Harar et Zeilah, alors plaque tournante du commerce des armes et le plus grand marché aux esclaves d’Afrique. C’est que Rimbaud avait eu l’audace de défricher des routes encore inconnues. Partout en outre sa réputation le précède : il connaît toutes les langues pratiquées dans ses régions ! Rimbaud l’infatigable. «Un grand et sympathique garçon qui parle peu et accompagne ses courtes explications de petits gestes coupants de la main droite, et à contretemps», note de lui son employeur, Alfred Bardey. Rimbaud qui sera bientôt l’un des premiers à comprendre le positionnement géostratégique de Djibouti, à l’époque où ce n’est pas même encore un village. Il en fera part dans son deuxième rapport beaucoup plus étoffé que le précédent, publié le 20 août 1887 dans la revue Le Bosphore égyptien, à propos de son voyage du Choa à Harar. Il est alors entré enfin vraiment «au royaume des enfants de Cham», comme il l’avait écrit dans Une saison en enfer. «La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère», qu’importe la géographie désormais, Rimbaud voyage, partout trop à l’étroit. «Je ne puis rester ici, parce que je suis habitué à la vie libre. Ayez la bonté de penser à moi». («Rimbaud, Poste restante, Caire, jusqu’à fin septembre » (lettre 26 août 1887)). Nous l’avons, Arthur, cette bonté.
Société de Géographie, Colloque du 9 octobre 2004, retranscrit dans La Géographie, n°1519 bis, janvier 2006.
images : le bateau ivre, sur le mur de la rue Férou, à Paris.