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La Dimension du sens que nous sommes

Apprendre à lire – des sciences cognitives à la salle de classe…

4 Septembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

apprendre-a-lire.jpgAprès bien des batailles et des déconvenues, sait-on vraiment comment apprendre à lire ? Comment leur apprendre à lire ?

Savant, l’ouvrage publié sous la direction de Stanislas Dehaene se présente presque comme un guide pratique, modeste, d’une lecture déconcertante de facilité, mais qui rend compte tout de même de dix années de recherches en sciences cognitives. Rappelez-vous ce miracle du CP, l’enfant devant sa première lettre, son premier mot, sa première phrase. Mais rappelez-vous aussi les échecs cruels, l’immense effort et le prix qu’il a payé pour parvenir à déchiffrer ce qui n’est en rien naturel chez l’homme : lire. Comment avons-nous donc appris ? Le savez-vous encore ? Comment le cerveau reconnaît-il l’écriture ? Et se modifie au contact de cette reconnaissance ! Nous avons oublié tout cela, ou bien nous n’en savons rien. Entrer dans le monde de la lecture… Un monde codé, verrouillé. Graphème, phonème, est-ce la même chose d’apprendre à lire le français que n’importe quelle autre langue ? Alors pourquoi 95% des petits allemands apprennent à lire leur langue en quelques mois, quand les petits français trébuchent des années durant, faute, par exemple, d’une correspondance étendue entre les phonèmes et les graphèmes ?

Tant d’irrégularités dans le français. En avons-nous réellement conscience, quand à longueur de journée on ne cesse de gloser sur les difficultés d’apprentissage de la lecture en France, l’école ne proposant guère qu’un parcours d’apprentissage obligatoire alors qu’il en faudrait de multiples, adaptés aux situations pourtant fréquentes que le législateur n’a pas voulu recenser.

Imaginez : le petit français doit apprendre non seulement l’association entre les lettres et les sons, mais dans le même temps, mémoriser les exceptions. Le français note la sonorité des mots, mais aussi les indices de leurs racines, de leur sens, de leur forme grammaticale, impliquant sans cesse un va-et-vient de l‘écrit au son et au sens, quand dans d’autres langues, l’apprentissage peut s’opérer graduellement.

Lire ? Une activité tellement récente dans l’histoire de l’humanité qu’il n’existe pas de matériel génétique permettant d’y accéder immédiatement. Et c’est bien là le problème, quand le langage parlé, lui, siège sereinement dans l’hémisphère gauche de notre cerveau, du bébé comme de l’adulte, avec ses aires parfaitement localisées, ses circuits neuronaux clairement établis, qui permettent à l’enfant en bas âge de stabiliser les voyelles sans effort, d’intégrer les règles grammaticales du bien parler dès sa deuxième année, de manière presque insouciante… Rien de tout cela avec la lecture, qui le contraint à prendre conscience des structures du langage oral pour oser s’y aventurer…

Que dire en outre de cette modalité accessible par la vision, imposant des changements profonds dans les zones de l’hémisphère gauche du cortex visuel, dans cette aire de la forme visuelle où il faudra loger la reconnaissance des mots, là où les circuits neuronaux s’étaient spécialisés dans la reconnaissance des formes géométriques… Sommes-nous bien conscients de l’énormité de la tâche, l’enfant forcé de recycler une partie de ces neurones, de modifier son activité cérébrale, de raffiner la précision de sa vision, de recoder les sons du langage derrière l’aire auditive, pour développer au final une conscience phonémique sans laquelle il échouera dans son apprentissage…

Savons-nous au vrai tout ce qui peut préparer à la lecture, tous ces exercices, ces jeux oulipiens sur le langage parlé qui peu à peu permettent de modifier l’activité cérébrale et de la disposer en ordre de bataille pour gagner celle de la lecture ?

Construire l’attention sélective, apprendre à observer les détails des objets, des formes, des lettres, scruter les correspondances… Comment se guider dans cet apprentissage soi-même, éducateur, enseignant, parent, pour être attentif à ne pas brouiller cet apprentissage en adressant des informations vers les circuits cérébraux inappropriés ?

Chaque mot est une énigme pour le lecteur débutant, un puzzle qui lui commande un effort gigantesque. Aujourd’hui, si les grands circuits cérébraux de l’apprentissage de la lecture sont identifiés, leur mode opératoire commencent à peine d’être connus. Et ce qui se dessine, c’est la nécessité de multiplier les stratégies éducatives de cet apprentissage. L’intelligence des contributeurs de cet essai est alors non pas de tenter de définir une énième méthode unique de plus, mais de dresser une liste de principes éducatifs clairs, immédiatement applicables, facilitant l’apprentissage de la lecture du français -et du français seulement, singulière langue qui commande la singularité même de son apprentissage.

  

 

Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe, collectif sous la direction de Stanislas Dehaene, éditions Odile Jacob, octobre 2011, 155 pages, 9,90 euros, ean : 978-2738126801.

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