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6 mai 2011 5 06 /05 /mai /2011 06:29

maudit-soit.jpgBouge, Rassoul, bouge ! La hache fend le crâne, Rassoul est foudroyé par le souvenir d’une lecture russe. Bouge Rassoul, Raskolnikov ne peut rien pour toi ! Il a tué la vieille. Prendre son fric. Ses bijoux. Fuir. Bouge Rassoul. Mais il ne bouge pas. Le sang, un mince filet inique, dégouline du bras vers le sol. Une voix s’élève dans la maison. La tuer aussi ? Bouge Rassoul. Il décolle enfin, s’enfuit, saute du toit, se blesse, court, oublie les traces, l’argent, les bijoux. Bouge Rassoul. N’importe où. Raskolnikov à ses trousses, qui l’a arrêté net au moment de tuer une seconde fois. Maudit Dosto qui a fait de lui un criminel idiot ! Rassoul, et l’argent ? Rassoul retourne sur les lieux du crime, croise le regard d’une femme en tchadori bleu, la suit, la perd dans la foule. Kaboul. Une roquette explose. Une seconde. Le chaos. Et Rassoul pitoyable au milieu de ce chaos, un billet de cinq afghanis en main pour tout salaire de son crime -le meurtre de l’usurière, pour rien. Il donne même le billet à une pauvre. Quel rachat ! Une tache de sang sur la chemise : le sien, celui de l’usurière ou bien un autre encore ? Tout se mélange. Feedback : l’Armée Rouge vient de quitter l’Afghanistan. Rassoul rentre de Leningrad. Un cahier sous le bras, notes d’un amoureux transi, timide, incapable de déclarer sa flamme. Il rentre avec ses bouquins de Dosto. En russe. Ici, à Kaboul, où la ville se terre, oublie la vie, l’amour, l’amitié. Alors son meurtre, piètre Raskolnikov cherchant un châtiment quand, à Kaboul, le flic qui l’interroge s’intéresse davantage à son passé soviétique qu’à ce meurtre sans importance –d’ailleurs le cadavre a disparu, il n’y a plus ni meurtre ni coupable, à peine cette culpabilité confuse dont Rassoul ne sait rien faire. Le meurtre d’une vieille usurière, et après ? Si bien qu’il ne peut exister de rédemption possible pour un meurtre dont tout le monde se fiche. Par pitié, un châtiment ! Tout disparaît, le corps de la victime, le témoin, cette ombre en tchadori bleu qui erre comme un fantôme, qui tourne et qui revient, la hache aussi bien, qui s’élève et s’abat, ce coup qu’il n’a pu donner, qu’il a donné, la hache peut-être, seule, a poursuivi sa course jusqu’au crâne de la défunte. Bouge Rassoul ! Il ne bouge plus. Le récit s’arrime au centre de ce foyer, mort, tourbillonne autour, valse, tourne et retourne les possibilités du crime, cette femme en tchadori bleu obsédante enroulée à son ombre, évidant le monde tandis que le récit s’évide lui-même pour que le monde ne soit plus qu’un volume sans matière, sans poids, sans justice possible. Coupable, mais de quoi donc ? Rassoul s’endort, se réveille, s’endort de nouveau, passe son temps à sombrer dans le sommeil, à s’évanouir, à revenir à lui pour sombrer de nouveau dans le dormant du récit, Kaboul, le souffle de la guerre, terreur et braises où les morts et les vivants se confondent dans un décompte que nul ne peut tenir –de quoi donc mourrons-nous quand aucune culpabilité n’est possible ? --joël jégouzo--.

 

 

Maudit soit Dostoïevski, de Atiq Rahimi, P.O.L., mars 2011, 312 pages, 19,50 euros, ean : 978-2818013434.

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