Alain Badiou, d’un désastre obscur…
1 Février 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique
L’essai date de 1991, mais la préface est actualisée. Le point de départ de la réflexion d’Alain Badiou, c’est la chute de l’Union soviétique, en 89. Un désastre, selon lui, en ce que cette chute n’aura pas été le fruit d’une révolte populaire, mais le fait d’un effondrement intérieur. Soit-dit en passant, c’est exactement le même désastre qui pourrait bien nous menacer, tant l’effondrement de la société néolibérale sur elle-même est perceptible. L’inertie et la brutalité qui ont surgi ces dernières années au sein de l’UE plus particulièrement, rappellent pour beaucoup celles qui ont présidé à la chute de l’Union soviétique… Et tout comme dans son cas, nos dirigeants se montrent incapables de comprendre la situation et de prendre les décisions qui s’imposent, nous livrant jour après jour à l’obscur, dont nous ne connaissons certes pas encore le nom, mais dont nous percevons l’ignoble rumeur dans la formidable montée en puissance de l’islamophobie par exemple.
Badiou analyse donc la situation de l’état post-soviétique. De cette Russie que les économistes ont rangé ironiquement au rang de «pays émergent», une farce pour nous rassurer… La Russie post-soviétique ? Un échec. Un désastre, nous en sommes tous conscients, pour la démocratie en particulier, et pour le Peuple russe.
L’analyse de Badiou porte aussi bien sûr sur la mort de l’idée communiste. Ce tombeau du «Nous» séculaire, de la passion égalitaire, de l’idée de justice sociale, voire de cette subjectivité rebelle que rien n’a su remplacer, certainement pas le nihilisme esthétique des bobos parisiens. Une tyrannie médiocre s’est ainsi installée. Nous avons abandonné le vocable de «démocratie» aux chiens, qui s’en donnent à cœur joie pour le moquer et le flétrir.
Le plus intéressant tout de même de cet opuscule, sémaphore de la rébellion, c’est l’analyse que Badiou y fait de la catégorie de Droit, dont on sait combien elle est prégnante désormais. Une catégorie qui a fini par se substituer à la revendication politique. Mais qu’est-ce que le Droit ? Une catégorie de l’Etat. D’un Etat qui peine à fonder sa légitimité et tente, dans l’exhibition du Droit, la neutralisation des forces qui dans un Etat réellement démocratique devraient en dynamiser l’horizon. Les règles du Droit, rappelle encore Badiou, ne sont que des règles «formelles» : des règles qui refusent de reconnaître les vrais enjeux sociaux, des règles sans vérité, une nomination juridique de la Liberté flottant dans un entre-deux discursif, entre philosophie et politique, sans jamais parvenir à s’arrimer à l’un ou à l’autre. L’Etat de droit n’a pour seule vocation que de fonctionner. Et faire de la politique une arme entre les mains des sophistes. Rien d’étonnant alors à ce que les Etats de droit soient sceptiques, cyniques, désabusés : ils organisent l’oubli de la politique comme «un des lieux où la vérité procède».
D'un désastre obscur - Droit, Etat, Politique, Alain Badiou, éd. de l'Aube, coll. Aube poche, janvier 2013, 5,90 euros, ISBN-13: 978-2815907002.
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