A MORT LES PAUVRES, A MORT LES SANS-PAPIERS…
L'examen du projet de loi de finances de la Sécurité sociale a permis au gouvernement, la semaine dernière, de s'attaquer à l'accès des étrangers à la couverture maladie universelle (CMU). Le 2 novembre, le député UMP marseillais Dominique Tian et ses collègues du collectif Droite populaire, ont déposé une série d'amendements visant à restreindre le dispositif de l'Aide médicale d'État (AME). Plus de 200 000 personnes seraient concernées, pour un coût à peine supérieur à celui de 2 airbus présidentiels…
Au delà du spectre des maladies infectieuses contractées et véhiculées par ces travailleurs du bout du monde, contaminant nombre de mises ne garde de nos chers députés et qui ne sont pas sans rappeler les assignations biologiques les plus odieuses des discours européens sur le thème de l’étranger, il est admirable de voir à quel point les thèmes racistes, aujourd’hui, rejoignent les figures politique de la lutte non contre la pauvreté, mais contre les pauvres…
Relire Simmel en associant la figure du pauvre à celle du sans-papier (qui est au fond un étranger pauvre), dans cette perspective, apparaît plutôt instructif. Simmel se posait en particulier la question de savoir ce que faisait apparaître l’aide aux pauvres, en tant qu’institution publique. Et non sans pertinence, il montrait que l’aide fournit aux pauvres, sous couvert d’assistance, n’avait de raison d’être que de subvenir à leurs seuls besoins vitaux, se présentant in fine comme des mesures techniques de maintien des pauvres dans l’exclusion.
"L’assistance publique occupe, dans la téléologie juridique, la même place que la protection des animaux", observait-il. Personne, par exemple, n’est puni pour avoir torturé un animal, mais pour l’avoir fait ouvertement. Idem des pauvres ou des sans-papiers : personne n’est punissable, car personne ne les malmène ouvertement.
Par ailleurs, Simmel observait l’absence de droit des pauvres à être aidés : le pauvre, tout comme le sans-papier, n’a aucune légitimité à porter plainte. Il n’existe pas de droit opposable du pauvre en cas de défaillance de l’assistance, tout comme il n’existe pas de droit opposable du sans-papier plongé pourtant dans une situation de précarité telle, qu’elle menace sa vie. Cette élimination du pauvre, tout comme du sans-papier, de la chaîne juridique est ainsi ce qui peut se concevoir de pire du point de vue des Droits de l’Homme. Si bien que le pauvre, en tant que pauvre, peut bien certes appartenir à la réalité historique de la société, tout comme le sans-papier, juridiquement, ils sont l’un et l’autre "sans âme". L’un et l’autre sont placés (de force) en dehors des espaces auxquels, pourtant, ils appartiennent : ceux du milieu historique réel. Cette négation les enferme de fait dans une totale négativité de leur être, les renvoyant l’un et l’autre à la typologie du lien social conflictuel. Le devoir d’assistance, ainsi que le député Dominique Tian le conçoit, ne sera plus un devoir de secours mais de stigmatisation du pauvre, comme du sans-papier, dans le seul but d’en contrôler les déplacements avant de les nier purement et simplement pour l’enfermer là où sa vie prend son seul sens possible : son élimination. –joël jégouzo--.
Georg Simmel, le Pauvre, éd. Allia, traduit de l’allemand et présenté par Laure Cohen-Maurel, janvier 2009, 92 pages, 6,10 euros, EAN : 978-2-84485-300-4