RENTREE LITTERAIRE 2009 : LUC BONDY CHEZ CHRISTIAN BOURGOIS
14 Septembre 2009 Publié dans #en lisant - en relisant
Et c’est à sa fenêtre de la Seminarstrasse que le narrateur, un personnage de second plan, assistant metteur en scène, contemple ce que devient sa vie pour tenter de lui donner forme et vivre encore, du mieux qu’il peut, cette régurgitation du passé qui est le signe bouffon par lequel s’annonce le Jugement Dernier.
Cet homme qui regardait habituellement les choses d’en bas, le voici qui ne peut plus les observer que du haut de sa fenêtre, épiant le mouvement du temps qui l’emporte, depuis cette désagréable lenteur qui est entrée dans sa vie - l’autre indice baladin. Un rythme exaspérant. Quel âge a-t-il ?, il ne le sait plus trop, à dix ans près. Le corps usé, fatigué, alors qu’il ne peut plus lire, qu’il regarde plus qu’il n’observe, (mal)Voyant se proposant de donner à voir plutôt que de voir lui-même, mettant en scène, de fait, les anecdotes et les figures de son aventure terrestre, de plus en plus nombreuses à s’égarer, à dériver, à se perdre dans le fil d’un temps qui n’est plus le sien (le syndrome BW ?), ce qu’il recompose, c’est finalement une histoire d’espace entre les corps, celle de cette raison corporelle qui est le propre de la mise en scène théâtrale, où l’Echange est une promesse portée d’un poumon l’autre – pour un peu s’ouvrirait à nous le souvenir de L’Anthropologie du geste, de Marcel Jousse, décryptant ce vide entre les corps où l’humanité est allée fonder son dire. Une histoire de rythmes, de temporalités.
Car ce qui frappe dans ce court roman (dont je ne suis pas certain d’avoir aimé les qualités, ni détesté les défauts), c’est ce à quoi l’auteur est attentif : moins les idées que les gestes qui les portent, Meursault de Camus et son café au lait, les routes de Lagos encombrées de déchets poussés par le vent, Kafka demandant à Milena de ne pas approcher de lui par derrière, ni de côté, mais de face. Du théâtre, en somme, mimodrames où chacun puise la révélation d’être soi - le geste dans la connaissance qu’il ouvre.
Le théâtre, justement, est peut-être mort de la rude concurrence que l’image lui oppose, et de ce que tout le monde se donne aujourd’hui en représentation, nous dit Luc Bondy. Pas si certain : What do pictures really want ? A cette question que posait W. J.-T. Mitchell (dans October, Vol. 77., Summer 1996, pp.71-82.), s’il n’y a pas de réponse simple, du moins l’indécision du statut des images peut-elle déjà nous réconforter de ce qu’elles aient tant besoin de nous. Luc Bondy, qui est l’un des grands metteurs en scène du théâtre d’aujourd’hui, nous en a souvent offert le « réconfort ».
On vit dans la dissonance, écrit-il encore. J’écrirai plus volontiers, à la suite de Gombrowicz, que l’homme est nécessairement un être oxymorique, à la fois maître et esclave de sa forme. Et consentirais assez à l’élégance d’un ton souvent amusé, qui n’est pas sans convoquer – puisque le récit invite chacun à le vivre intimement-, cette gourmandise intelligente de la famille Bondy pour les choses de l’esprit.--joël jégouzo--.
A ma fenêtre, Luc BONDY, traduit de l'allemand par Olivier Mannoni, éd. Christian Bourgois, sept 2009, 154 pages, 18€, ISBN : 978-2-267-02045-8
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