RENTREE LITTERAIRE 2009 : Marie-Hélène Laffon, Buchet-Chastel
La France d’En-bas s’invite dans la course aux prix littéraires (en l’occurrence celui des Libraires). Enfin… Pas tout à fait la France d’En-bas, non plus qu’elle s’y inviterait puisque, là encore, il s’agit d’une parole recomposée.
Une France bien éloignée de celle des Gens de peu (si superbement dessinée par l’immense Pierre Sansot) – avec leur marcel des bords de route du Tour de France, qui disposaient néanmoins de toute notre affection.
Non, là, il s’agit de quelque chose qui n’est sans doute plus la France mais un monde secret, celui des sillons dont on ne sait plus rien, dont il ne nous revient aucun écho, pas même des luttes, bretonnes ou occitanes, laits déversés devant les préfectures, choux et fruits de saison amoncelant une rage stupéfiée. Une réalité cachée, recluse dans ses pacages. L’autre monde, celui des cantonniers, entre bois et bêtes, la campagne, tout juste une lointaine image du Cantal dont nous ne savons où fouiller pour l’habiller encore, la campagne, ce royaume clos désormais. Deux vaches, le viaduc de Garabit, pas même celui de Millau, pensez !
Voici donc l’œuvre, un objet incongru dans le panorama des publications contemporaines. Un texte que l’on mènerait pour un peu à résipiscence dans une littérature qui semble devoir séduire autrement. En porte-à-faux avec son objet dans son déferlement lexical, logorrhée érudite, confisquant les voix de ceux qui ne parlent plus pour les remplir d’une présence qu’ils n’ont plus – fictive, donc. Le lieu sans le terroir, dans la rutilance d’une langue réquisitionnée pour un autre chevet – le nôtre.
Un vrai choc de civilisations en somme, avec cette petite nièce en tablier d’étoffe grossière régnant sur la famille et disputant son règne à celle qui vient d’ailleurs et prétend lui ravir ses oncles.
Fridières. Qu’il y ait des mots pour dire ça, étonne tout d’abord. Mais à bien lire, ces mots ne sont pas de Fridières. Annette, l’ouvrière du Nord, a répondu à une annonce. Elle ne voulait pas faire de sa solitude une histoire. Mais refaire sa vie plutôt. Un paysan, pourquoi pas ? Alors Annette s’exile, mais ne sait pas se placer dans l’étable et reste interdite devant les bêtes. Et avec la nuit qui vient, devant son propre corps. Les pages les plus fortes, à l’heure décharnée d’une vie trop longtemps solitaire. Annette contemplant le désastre de ses cuisses veinulées.
C’est laborieux, littéralement, à la mesure de ce labeur quand on a désappris le corps à corps de l’amour. Annette cœur simple. Presque fruste dans cette langue chatoyante. Fictive plus qu’on ne saurait l’écrire, car cette campagne ne sait plus se situer que dans l’ordre de la fiction, tant elle est démonétisée. Une fiction qui ne relève même plus d’aucun genre aujourd’hui, à peine celui du terroir, littérature confinée dans des officines régionales où s’aventure encore le souvenir d’un monde de vieux célibataires, de bêtes, de foin, de toile cirée et de corps au pied du mur.
L’Annonce de Marie-Hélène Laffon s’énonce parfois comme une Annonciation – cela lui va bien du reste, on entend l’Angélus, on l’aimerait du moins, après tout. Détonne, encore une fois, dans le paysage de la production littéraire. Embarrasse. Et la littérature de terroir, et la littérature contemporaine. Tout comme son texte s’embarrasse parfois d’une présentation trop travailleuse du récit des vies qui l’articulent. Réussi, raté ? Intéressant – sans la morgue d’avoir à le concéder.--joël jégouzo--.
L’Annonce, Marie-Hélène Lafon, Buchet-Chastel, sept. 2009, 200p., 15 euros, isbn : 978-2-283-02398-8
Une France bien éloignée de celle des Gens de peu (si superbement dessinée par l’immense Pierre Sansot) – avec leur marcel des bords de route du Tour de France, qui disposaient néanmoins de toute notre affection.
Non, là, il s’agit de quelque chose qui n’est sans doute plus la France mais un monde secret, celui des sillons dont on ne sait plus rien, dont il ne nous revient aucun écho, pas même des luttes, bretonnes ou occitanes, laits déversés devant les préfectures, choux et fruits de saison amoncelant une rage stupéfiée. Une réalité cachée, recluse dans ses pacages. L’autre monde, celui des cantonniers, entre bois et bêtes, la campagne, tout juste une lointaine image du Cantal dont nous ne savons où fouiller pour l’habiller encore, la campagne, ce royaume clos désormais. Deux vaches, le viaduc de Garabit, pas même celui de Millau, pensez !
Voici donc l’œuvre, un objet incongru dans le panorama des publications contemporaines. Un texte que l’on mènerait pour un peu à résipiscence dans une littérature qui semble devoir séduire autrement. En porte-à-faux avec son objet dans son déferlement lexical, logorrhée érudite, confisquant les voix de ceux qui ne parlent plus pour les remplir d’une présence qu’ils n’ont plus – fictive, donc. Le lieu sans le terroir, dans la rutilance d’une langue réquisitionnée pour un autre chevet – le nôtre.
Un vrai choc de civilisations en somme, avec cette petite nièce en tablier d’étoffe grossière régnant sur la famille et disputant son règne à celle qui vient d’ailleurs et prétend lui ravir ses oncles.
Fridières. Qu’il y ait des mots pour dire ça, étonne tout d’abord. Mais à bien lire, ces mots ne sont pas de Fridières. Annette, l’ouvrière du Nord, a répondu à une annonce. Elle ne voulait pas faire de sa solitude une histoire. Mais refaire sa vie plutôt. Un paysan, pourquoi pas ? Alors Annette s’exile, mais ne sait pas se placer dans l’étable et reste interdite devant les bêtes. Et avec la nuit qui vient, devant son propre corps. Les pages les plus fortes, à l’heure décharnée d’une vie trop longtemps solitaire. Annette contemplant le désastre de ses cuisses veinulées.
C’est laborieux, littéralement, à la mesure de ce labeur quand on a désappris le corps à corps de l’amour. Annette cœur simple. Presque fruste dans cette langue chatoyante. Fictive plus qu’on ne saurait l’écrire, car cette campagne ne sait plus se situer que dans l’ordre de la fiction, tant elle est démonétisée. Une fiction qui ne relève même plus d’aucun genre aujourd’hui, à peine celui du terroir, littérature confinée dans des officines régionales où s’aventure encore le souvenir d’un monde de vieux célibataires, de bêtes, de foin, de toile cirée et de corps au pied du mur.
L’Annonce de Marie-Hélène Laffon s’énonce parfois comme une Annonciation – cela lui va bien du reste, on entend l’Angélus, on l’aimerait du moins, après tout. Détonne, encore une fois, dans le paysage de la production littéraire. Embarrasse. Et la littérature de terroir, et la littérature contemporaine. Tout comme son texte s’embarrasse parfois d’une présentation trop travailleuse du récit des vies qui l’articulent. Réussi, raté ? Intéressant – sans la morgue d’avoir à le concéder.--joël jégouzo--.
L’Annonce, Marie-Hélène Lafon, Buchet-Chastel, sept. 2009, 200p., 15 euros, isbn : 978-2-283-02398-8
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