LE GOUVERNEMENT DE LA CULTURE...
Au moment où Frédéric Mitterrand prend ses fonctions, voici un ouvrage qu’il serait bon de relire et de discuter, bien qu’écrit il y a plus d’une dizaine d’années… Mais l’auteur fut directeur du Patrimoine de 1993 à 1997. Un bon poste d'observation pour témoigner du gouvernement de la culture.
De fait, ce livre propose une minutieuse analyse du messianisme culturel français tel que Jack Lang en fit la promotion. Méfiant à l'égard de la société civile, l'Etat "sut" faire le bonheur de son peuple contre lui-même, en lui imposant un devoir de culture tout de même problématique.
L'auteur est en outre imbattable sur la description du fonctionnement du Ministère en question. Techniques de maquillage budgétaire, versements en trompe l'œil, gel des crédits et coupes sombres, il n'est pas une ligne comptable qui n'échappe à son regard. L'Etat des lieux, l'esprit de la rue de Valois, tout cela nous est rapporté avec une malignité jubilatoire.
Une critique néanmoins par trop mesurée et sans véritable solution. Qu'il faille par exemple défiscaliser la culture pour en assurer l'essor paraît de bon sens. Qu'il faille en outre le faire avant d'entamer un quelconque retrait de l'Etat, est une évidence – d’autant que ce retrait a déjà commencé. Mais sur la redéfinition des missions de ce dernier, l'auteur se révèle inquiétant. Les termes de son propos ne sont d'ailleurs pas sans rappeler la fâcheuse polémique instruite par Marc Fumaroli contre les avant-gardes…
Il est en particulier douteux de penser que la décentralisation enrichirait les critères de l'appréciation artistique. Même s’il est permis d’entendre que cette décentralisation aurait dû être une chance pour l’essor de la création française et la visibilité de ses différences, au lieu que l’on ait eu, au niveau des centres d’art contemporains par exemple, des dizaines de fois la même collection, avec pour seule modération que les dotations n’étant pas égales, certains proposaient une vision au rabais des mêmes acteurs de l’art…
Et pour ce qui concerne la littérature, il est affligeant de constater que, par exemple toujours, ait pu surgir en Corse contre vents et marées une littérature noire particulièrement inventive, alors qu’aucune structure étatique ne lui venait en aide (bien qu’il s’agisse de leur mission officielle), les Corses ayant dû s’en remettre au travail militant de quelques acteurs éditoriaux particulièrement audacieux, quand dans le même temps les structures culturelles de l’Etat ne faisaient qu’assister une littérature déjà installée dans le paysage culturel français et qui n’avait guère besoin de l’être (voir : www.k-libre.fr dossier à paraître et lectures corses, J.-P. Santini et J.P. Ceccaldi).
Paradoxale remarque, il est vrai, qui peinerait à juger troublante l’opposition que l’auteur construit entre l'art régionaliste et l'art international. Mais… Pour reprendre l’exemple de la littérature policière corse : elle n’est en rien « régionaliste », même si elle se crée en région - et c’est là toute la différence. En conséquence, il est plus dommageable encore de voir surgir sous la plume de notre auteur un émouvant appel au renouveau de la culture française, qui passerait par l'essor des "petits porteurs de culture". « Petits porteurs », soit dit en passant, qu’il éprouve beaucoup de difficulté à décrire… Et puis, qu’entendre dans une pareille expression ? Que les « petits » éditeurs corses seraient porteurs d’une culture touchante mais somme toute peu à même de converser avec le monde dans sa diversité et son ambition ?
La culture d’Etat qui s’est imposée sous Jack Lang ne fut pas toujours novatrice – ni convaincante. Pour autant, doit-on penser que le renouvellement de la culture ne peut passer que par l’émergence d’acteurs non institutionnels ? Blogs et réseaux témoignent avec force de l’émergence d’un renouveau culturel qui se cherche, s’invente, balbutie encore. Il me semble néanmoins que le premier enjeu sera celui de l'essor de structures d’écho capables de restituer la vitalité de ce renouveau dans toute son étendue – au lieu que la presse nationale s’enferme dans un clientélisme douteux.
Aujourd’hui émiettées, morcelées, atomisées, campant sur la déception de médias stipendiés, ces structures en friche sont une chance pour la création, en même temps que son écueil - à tout le moins la traduction d’une vitalité réelle, et d’une attente qui ne cesse de se creuser dans l’espace de la création contemporaine.
Attendons donc les premiers gestes du gouvernement de la culture selon Frédéric Mitterrand. La fonction est politique, en plus d’être culturelle. Restent en mémoire les Lettres d’amour en Somalie du présent Ministre : l'espoir d'une volonté politique qui pourrait ne pas vouloir décevoir. --Joël Jégouzo--
Le gouvernement de la culture, de Maryvonne de Saint Pulgent, sept. 1999, Gallimard, coll. Le Débat, 378 pages, ISBN-13: 978-2070751907, 24 euros.