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La Dimension du sens que nous sommes

Tabucchi, le temps, la mémoire, le souvenir, la remémoration et l'oubli...

16 Juin 2009 Publié dans #en lisant - en relisant

Neuf récits pour explorer la fabrique du souvenir, éprouver l’altérité de la mémoire. Moins donc le souvenir que son surgissement, ses aspérités, par où ça mord encore, ses propriétés en quelque sorte. Et moins la mémoire que ses conditions de possibilité, quand le monde va son propre fourbi et qu’il ne reste parfois qu’à naviguer en son soi-même que l’on a perdu pour tenter de lui appartenir encore un peu.
S’explorer comme une fiction lentement mûrie.
Ou bien le souvenir comme une fête volée, quand tout s’achève, quand la nuit qui descend est absolue, présente absolument à tout ce qui ne parvient qu’à grand peine à tenir encore dans son être. Le souvenir comme infranchissable présence de la nuit en soi.
Ou encore ce gros roman que tout le monde attend, récit de famille, de vie, divagation ou journal intime, dans l’obsession universelle pour l’art du roman, conditionnant l’écriture même du souvenir en soi.
La chose la plus belle du monde peut-être, des bribes, des indices à relever patiemment, des bouts d’histoires que le temps a défait – ce grand monde nous usera jusqu’à la corde.
Hors toute mémoire parfois. Car les histoires sont plus grandes que nous et n’ont pour seule protagoniste que l’histoire elle-même, dont on ne sait pas toujours ni comment ni où elle s’écrit, dans quelle traversée des yeux. A la nage.
Il y a tout de même cette curieuse et imprudente vision de la mémoire confrontée au travail du temps  que construit Tabucchi au terme de laquelle, pour vivre la réalité effective de ce qui est réel en nous, il faudrait nécessairement le détour du récit qui permettra un jour de la convoquer.
Neuf récits dont celui de cette vieille dame qui va mourante sur son lit d’hôpital. Morphine goutte à goutte pour tâtonner dans la paix artificielle des derniers instants. Elle était. Elle a été. Tente de recoudre les plis d’une mémoire d’avant la mémoire de celui à qui elle voudrait léguer la sienne. Le cerisier en fleur, l’empreinte d’un vivre dissolu aujourd’hui. Elle qui, chaque fois qu’elle pense au temps, ne peut le concevoir que sous les catégories de l’espace. Elle, dans l’étendue de son corps exténué, s’ouvrant à ce dialogue impossible où le corps finit parfois par nous enfermer. Corps dévasté sous lequel Tabucchi remédie la Beauté ensevelie.--Joël Jégouzo--

Le Temps vieillit vite, de Antonio Tabucchi, traduit de l’italien par Bernard Comment, éd. Gallimard, coll. Récits, avril 2009, 186p., isbn : 978-2-07-012588-3
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C
Je suis profondément admirative de l'intelligence et de la sensibilité de cette présentation ( de ces, devrais-je dire).<br /> Chez moi, l'esprit de synthèse, toujours contraint, n'accouche jamais que de misérables momies !!
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J
<br /> vous êtes très dure avec vous, cela n'est pas mérité. Je ne vous connais pas, et m'engager dans cette discussion me contraindrait bien vite à dévoiler mes limites et révéler votre talent, fût-il en<br /> germe, car il me faudrait au moins vous donner les conseils d'un Rilke dans sa Lettre à un jeune poète, pour m'en sortir un peu mieux qu'avec ce mauvais plaidoyer pour un jugement plus constructif<br /> de vous-même et des moyens que vous n'osez peut-être tout simplement pas mettre en oeuvre pour exprimer votre pensée. Voyez, nous sommes donc toujours, tous, en-deçà d'où nous devrions être<br /> pour prétendre à quelque lecture intelligente at sensible des textes qui méritent notre attention ! Sincèrement<br /> <br /> <br />
J
Cet article a provoqué ma mémoire et, en prolongement de l'excipit, elle m'a renvoyé un texte de Jean-Claude Loueilh...<br /> <br /> Extrait de La poïétique des ruines : "Tout s'anéantit, tout périt, tout passe Il n'y a que le monde qui reste" écrivait encore Diderot dans son Salon de 1767.Alors que notre monde se trouve peut-être en passe de disparaître. Alors que le désert ne figure plus -à la marge- en repos et caprice de Retz, mais advient hic et nunc comme fait. Car nous créons la ruine; non plus de nos légendes patrimoniales, mais de notre nature familière, de notre monde humain. Qui ne met plus en balance le fragmentaire, mais le tout de la terre; qui ne peut plus se distraire du vestige ou du sanctuaire, mais exhibe -si cela peut s'entendre- la dévastation..."
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