17 octobre 1961 : Penser l’Histoire dans la force du présent ?
Allons-nous cette fois encore commémorer le 17 octobre 1961 dans le vide ? Comme une date sortie du chapeau de l’Histoire, un voyage de mémoire les yeux fermés, saisis de scepticisme et de lassitude ?
Où engager un travail de mémoire à peine entamé sous le couvert des devoirs qui l’encombrent, quand déjà on voudrait qu’il laisse place à quelque attrayant spectacle, déposé de gerbe solennel, ronde des discours convenus avant de céder la place, demain, à quelque autre journée commémorative ?
Que devient cette mémoire algérienne de la France ? Quels enjeux recouvrerait-elle, quand partout dans le monde, et à commencer par la France, l’un des pays les plus zélés dans cette cause crapuleuse, le racisme anti-arabe n’aura jamais connu autant de succès ?
L’étude d’Edward Saïd parue en 1997, actualisée quelques mois avant sa mort, n’ouvrait-elle pas à un constat plus éprouvant que celui d’une commémoration les yeux fermés, quand le regard porté sur l’Islam par les médias, les hommes politiques, n’aura cessé de gagner en manichéisme brutal, en hostilité, et en bêtise ?
Quel devoir de mémoire nous épingler cette fois ? Y aurait-il par exemple un enjeu éthique à gagner dans cette commémoration ? Ou politique, intéressant notre situation dans le monde contemporain et dont on pourrait dire qu’il pourrait, au fond, l’informer durablement ?
De quoi s‘agirait-il aujourd’hui ? De savoir ce que devient cette trame mémorielle dont on voit bien qu’elle n’est pas capable de nous soustraire à l’inquiétude de voir, demain, un nouveau massacre (Syrte ?) s’affirmer dans l’indifférence générale ?
Que s’agit-il d’affronter, dans cette nouvelle commémoration ? L’aventure difficile d’interrogations vites tues, posées déjà dans cet ailleurs de la transmission muette d’une histoire dont les livres, seuls, se chargeraient ?
Mémoire collective et/ou mémoire individuelle ? Mémoire savante ou mémoire populaire ? Mémoire officielle ou mémoire privée ? Mémoire sociale ou mémoire identitaire ? Mémoire politique ou mémoire éthique ?
Que l’on me comprenne bien : il ne s’agit pas, cette fois encore, de réitérer les cris d’orfraie habituellement poussés sur le décorum républicain dont on accommode la mémoire du 17 octobre 1961. Ici et là, les archives d’une survie ancienne seront diffusées, empruntant, déjà, les voies de l’assomption du spectateur pour taire que des centaines d’arabes pourraient bien être encore jetés demain dans un fleuve, pourvu qu’il ne soit pas la Seine et ce, dans l’indifférence générale. Or il faudrait, justement, ouvrir cette journée à une réflexion inédite, celle de la pleine signification sociale et politique des raisons de commémorer le 17 octobre 1961. Loin de la déploration, dans l’inquiétude d’une histoire qui est encore la nôtre aujourd’hui. Et nous interroger vraiment sur le fait qu’il n’y ait pas, pour paraphraser Arendt, d’histoire plus difficile à raconter dans toute l’histoire de la France contemporaine que celle-là, semble-t-il.
Il s’agirait de lui reconnaître une place "politique", au sens fort de ce que doit être le lien social. "L’histoire, écrivait Marc Bloch, c’est la dimension du sens que nous sommes". Il faudrait alors instruire ce sens, convoquer à travers son fragile surgissement la forme de cette cité éthique capable de se réaliser dans les conditions de la nature sensible de l’homme. Et nous défiant d’une commémoration de plus, d’une commémoration pour rien, prodiguer une vraie leçon de politique : vivre ensemble. --joël jégouzo--
Le collectif 17 octobre 1961, dont font partie le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples (Mrap) et la Ligue des droits de l’Homme (LDH), a demandé, comme chaque année que “les plus hautes autorités reconnaissent les massacres commis par la police parisienne”.