Les Algériens en France, une histoire de générations, Benjamin Stora et Nicolas Le Scanff
La BD s'ouvre sur la Marche pour l'égalité du 15 octobre 1983, marqueur fort de cette histoire «commune» que Benjamin Stora entend illustrer. A l'issue de cette Marche au succès éclatant, un espoir se leva. C'est le prétexte de la BD : quelques jeunes participants à cette marche sont invités par Radio Beur à raconter leurs motivations et cette histoire personnelle, familiale, qui les a conduits à une telle détermination. Ils seront le fil de notre lecture.
Lyon, Les Minguettes à l'origine de la Marche. Très vite, leurs récits nous entraînent dans les profondeurs de l'Histoire des parents, des grands-parents. On ouvre ainsi les portes des cafés-hôtels algériens de l'entre-deux guerres, qu'inventa la première grande vague d'immigrés. La France avait besoin de bras, elle ne s'en priva pas. Lieux de culture, de musique, de prière, de débats passionnés, Stora retrace toute cette histoire méconnue, Messali Hadj, qui fonda l'Etoile Nord Africaine, l'organe militant du besoin d'indépendance, rejoint par des français courageux et mûrs pour penser la libération de l'Algérie. Le fil chronologique se brouille parfois au gré des entretiens. C'est que cette histoire est non seulement complexe, mais elle a été trop longtemps tue pour s'énoncer clairement. Il faut faire l'effort de l'entendre, de la suivre dans ses méandres. On traverse alors les premières grandes insurrections, comme celle des Kabyles en 1871, à l'époque de la Commune de Paris, réprimée férocement par l'état colonial. On vit avec ces immigrés qui ont donné leur vie dans les tranchées de 14-18 pour sauver la France et qui pour récompense, eurent le droit d'espérer prier dans un lieu enfin décent : dans cette Grande Mosquée de Paris qu'on commença d'édifier en 1922. Mais on vit aussi dans ces studios minuscules, comme celui de Samia, née en 1962 à Vénissieux, où les quatre membres de sa famille s'entassaient dans une seule pièce alors que le père, un Chibani, s'éreintait pour un salaire de misère à la SNCF. On traverse ailleurs les Trente Glorieuses qui tant nous font encore rêver, qui recrutèrent massivement des travailleurs algériens exclus, eux, de l'abondance qui se pavanait. On découvre alors les bidonvilles qui les accompagnèrent d'un bout à l'autre de cette modernité. On croise des algériens aux gueules noires dans les mines du Nord de la France, des algériens métallos dans la sidérurgie et dans toutes ces industries motrices de la modernisation du pays dont, bien sûr, l'automobile. Et de 36 à mai 68, on vit la solidarité de ces immigrés qui tant luttèrent pour la défense des intérêts ouvriers en France !
Et puis soudain, le format de la BD se fait saisissant, qui contraint l'historien, en si peu d'espace, à recenser les crises, de la manifestation du 14 juillet 1953 réprimée dans le sang par la police française qui ouvrit le feu sur les ouvriers algériens, à l'horreur du 17 octobre 1961.
Soudain, la BD révèle par son format lapidaire une histoire barbare, contraignant l'historien à égrener les dates de cette barbarie : l'assassinat de Malek Oussekine, l'assassinat d'Abdel Benyahia, et tant d'autres depuis. On voit, littéralement, se construire sous nos yeux le racisme d'état qui semble désormais devoir bientôt parvenir à son comble.
Est-ce la raison pour laquelle la BD s'achève sur la tragédie du 17 octobre 1961 ? Comme un symptôme glaçant et actuel...
Benjamin Stora et Nicolas Le Scanff, Les Algériens en France, une histoire de générations, préface de Naïma Yahi, éditions La Découverte, septembre 2024, 144 pages, 23 euros, ean : 9782348079665.
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