Ce que vous trouverez caché dans mon oreille, Mosab Abu Toha
9 Octobre 2024 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #poésie
Publié en 2022, réédité en 2024, ce qui trouble, c'est l'actualité du recueil, l'actualité du désespoir, de la souffrance palestinienne face à la barbarie. « Comment dire la vie à Gaza ? », s'interroge Mosab Abu Toha. Tellement documentée aujourd'hui, Gaza anéantie, entièrement détruite, les villes, les champs, les routes, les infrastructures, les écoles, les hôpitaux si méthodiquement anéantis : seule l'ampleur de la catastrophe semble avoir changé, cette fois, Gaza n'est plus, sinon un abîme au bord duquel se tient, le nez bouché, l'occident qui vient de signer sa totale faillite morale.
« Où est mon pays ? », chancelle-t-il : « dans l'ombre des arbres » déracinés, calcinés sous la voûte de nuits éclairées par les missiles israéliens.
Il n'y a pas de mots pour faire ne serait-ce que semblant de combler cette béance ouverte dans le monde. Juste les sanglots des palestiniens, étouffés, car en Palestine, nous dit Mosab Abu Toha, il faut sangloter sans bruit, de peur de voir la soldatesque exciter sa cruauté à la vue de ces larmes.
Mosab Abu Toha est né dans un camp, où son propre père est né, où son grand-père a dû -on n'ose ici parler de refuge tant ce serait immonde que de l'imaginer- venir y survivre après que des soldats lui ont volé sa maison à Jaffa (« Mon grand-père était un terroriste : il s'occupait de son champ »). Trois générations de palestiniens forcés de vivre dans des camps ! Et aujourd'hui, il faut apprendre aux enfants à se cacher dès qu'un drone pointe au-dessus de leur tête.
La Palestine que le poète décrit ressemble déjà beaucoup à celle que nous ne pouvons pas faire semblant d'ignorer : celle d'aujourd'hui, rasée à 80%... Où chaque jour la population civile subit des bombardements assassins sans parvenir souvent à enterrer ses morts, tant ils sont nombreux.
« Nous méritons une mort meilleure », écrit à ce propos Mosab Abu Toha : « Nos corps pourrissent sous le soleil brûlant », et les maisons se transforment « en un ragoût de béton et de sang».
Le recueil est suivi d'un entretien, au cours duquel Mosab Abu Toha évoque le miracle de sa survie, d'avoir été remarqué par une université américaine qui lui a permis d'échapper au massacre de ses pairs. De la Poésie palestinienne, il donne la vraie raison d'être : non pas une forme littéraire qu'il faudrait suivre ou combattre, mais une émotion qui ouvre à toutes les formes possibles. Est-ce pour cela qu'elle est si forte et si riche ?
Quand il se penche sur son enfance, Mosab Abu Toha réalise que peu de photos de famille circulent en Palestine : les bombardements incessants depuis 76 ans en sont venus à bout, le souvenir ne peut plus exister qu'en images littéraires, en récits, une odyssée orale qu'il faut sauver pour que ces souvenirs ne se perdent pas.
Mosab Abu Toha, Ce que vous trouverez caché dans mon oreille, éditions Julliard, traduit de l'anglais par Eve de Dampierre-Norisay, octobre 2024, 186 pages, 20 euros, ean : 9782260056485.
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@mosab_abutoha
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