Le ruisseau que je suis, Emma Peiambari
9 Juin 2024 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant
Une enfance iranienne. Avant la grande démolition des corps, des cœurs, des esprits.
Une enfance écrite le plus souvent au présent, comme une récollection amoureuse de la vie. Avec néanmoins, au gré des souvenirs qui remontent, cette vulnérabilité, qu'Emma Peiambari a fini par transformer en force.
Le ton est dépouillé, presque factuel : voici, ici, là, sans rien vouloir conclure, sinon la joie toute métaphorique d'évoquer le joob, ce ru qui court pour irriguer la ville. Une vraie métaphore en effet que ce ru, celle de l'intimité citadine pour qui a connu ces villes écrasées de chaleur où murmure un mince filet d'eau aux pieds des maisons, la vie, encore.
On se laisse bercer au gré des évocations, le mûrier de la grand-mère ou telle immense place de sable chauffée à blanc l'été, les camarades de classe, l'entrée en sixième, la famille avec la mère aux allures de princesse. On découvre sans fard ni trivialité l'aventure d'une fillette se révélant à elle-même femme, bientôt. On accompagne l'adolescente jaillie cette fois par la lecture de Kafka. Les grands auteurs, les mêmes, ici que là-bas, pas un autre monde : le nôtre, en partage.
De ce récit, Emma Peiambari nous dit qu'il est un rite de passage. Les lieux de cette enfance heureuse ne sont plus, tant elle sait désormais ne plus y retourner. En la lisant, je songeais à l'autobiographie de Bertrand Badie, Vivre deux cultures. La même incroyable tolérance, la même stupéfiante humanité. Peut-être parce que tout comme lui, elle n'a pas fait l'impasse sur sa fragilité. Une souffrance ancienne mue en espérance.
Connaissant ses origines, je pensais lire le récit du temps des humiliés. J'ai lu en fait celui de l'humain retrouvé. Non pas une sagesse vide et creuse qu'une fausse sérénité habiterait, mais la richesse d'un ancrage qui n'est pas une fin. Peut-être est-ce cela, répondre à l'appel de l'écriture, cet appel qui traverse de part en part son témoignage.
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Emma Peiambari, Le ruisseau que je suis, préface de Claude Lorin, L'Harmattan, mars 2024, 234 pages, 24 euros, ean : 97882336441399.
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