Une Histoire globale des révolutions
«La Révolution est terminée», affirmait François Furet en 1978. Il s'agissait alors pour le camp néolibéral de mettre fin à toute contestation de l'ordre bourgeois en décrétant indépassable l'horizon du capitalisme. Il s'agissait aussi de délégitimer par avance toute contestation d'un système qui fonçait tête baissée vers plus d'inégalités, plus d'injustices et moins de démocratie : c'est l'égalité qu'il fallait exclure de cette révolution bourgeoise pour n'en conserver que la dynamique propriétaire dont la ligne de fuite ne pouvait être qu'illibérale.
Voici reprise à nouveau frais la réflexion sur les révolutions. Dans la perspective d'une histoire globale, l'imprécation de Furet révèle toute son exécration. Enfin un souffle neuf pour nous aider à repenser ce qu'il nous faut entendre par Révolution, que rien ne saurait réduire à son emblème français.
Quelle(s) définition(s) en donner du reste ? Quand le terme est-il apparu ? Dans quel contexte est-il employé ? Pourquoi diable est-il si arpenté à l'étranger et si peu en France, qui se targue pourtant d'en avoir quasi inventée la formule ? Qu'est-ce qu'une situation révolutionnaire ? Que faire de la périodisation que Furet et d'autres historiens nous ont léguée ? Assez habilement, le collectif réunit pour en débattre a reformulé, justement, cette périodisation, non plus de 1770 à 1871, mais de 1945 à 1991, en y intégrant les libérations nationales du joug colonial, qui se poursuivent du reste sous nos yeux aujourd'hui, comme en Palestine occupée.
Cet énorme essai a donc entrepris d'évaluer nos représentations, nos conceptions, nos définitions, nos géographies : achevé, le temps des révolutions ? Ce serait omettre les révolutions africaines qui se déroulent sous nos yeux, du Niger au Mali, pour en finir avec la colonisation française !
L'objet était donc verrouillé : François Furet prétendait en confisquer les clefs. L'Institut Raymond Aron, qu'il dirigeait, en savoura longtemps le triomphe... Mais il restait trop de tyrans et trop de tyrannies pour en clore les séquences.
Nos auteurs partent ainsi d'un constat simple : les révolutions sont ordinaires, multiples, incessantes. «Il faut sortir du panthéon des grandes révolutions» pour le comprendre. Certes, tous les soulèvements n'en sont pas, mais là encore, on débat avec clarté là où l'idéologie avait imposé sa chape de plomb. Cet énorme essai à plusieurs voix tente ainsi de scruter les révolutions passées de tous les continents pour comprendre ce qu'est l'objet dont on parle. Qu'est-ce qu'une révolution ? L'ouvrage en décline les acceptions, tentent d'en délimiter les phénomènes, les expressions, d'en débusquer les ruptures, les renversements.
Et, paradoxe, Etienne Balibar y ajoute sa voix pour tempérer notre ferveur : il nous faut considérer la révolution bourgeoise de 1789 comme le vecteur d'une transformation révolutionnaire de la société, qui a porté au pouvoir ce singulier système capitaliste capable de tant de résilience qu'il a fini par nous apparaître en effet indépassable. Il a signé tous nos échecs depuis et ce, bien qu'il ait confisqué entre quelques mains la souveraineté et artificialisé ses légitimités, rendant tout nouveau passage à l'acte collectif infiniment problématique.
Le Capitalisme a-t-il signé l'échec de l'idée même de Révolution ? Mais qu'est-ce qui échoue quand une révolution ne parvient pas à son terme ? Elle est une praxis affirme Balibar et en ce sens, parce qu'elle transforme ses protagonistes et laisse des traces durables, elle n'est jamais un échec. Certes. Mais dans le même temps, toute révolution suppose un sujet révolutionnaire. Or celui-ci est infiniment précaire : rappelez-vous les Gilets Jaunes. De plus, le capitalisme a toujours su, jusqu'ici, révolutionner ses conditions d'exploitation et d'existence, par l'innovation technologique aujourd'hui.
Pas d'espoir ? Pourtant, «la Bourgeoisie produit avant tout ses propres fossoyeurs», énonçaient Marx et Engels dans le Manifeste de 1848. C'est toujours vrai aujourd'hui. Même si la triade capitalisme/patriarcat/colonialisme a su déjouer toutes nos tentatives de libération. On la sent tout de même fragilisée, vacillante, subissant les assauts portés par les mouvements des femmes violentées, par les attaques portées de nouveau contre le néo-colonialisme. Et quant au capitalisme, il rencontre désormais un mur qu'il ne lui sera pas facile de briser : celui du défi climatique. Balibar a sans doute raison d'affirmer alors que la rupture climatique, ajoutée aux précédentes, pourrait bien lui être enfin fatale.
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Une histoire globale des révolutions, sous la direction de Ludivine Bantigny, Quentin Deluermoz, Boris Gobille, Laurent Jeanpierre, Eugénia Palieraki, éd. La Découverte Histoire-Monde, septembre 2023, 1198 pages, 36.90 euros, ean : 9782348059346.