La Révolte des filles perdues, Dorothée Jardin
6 mai 1947, Fresnes, en pleine campagne à l'époque. Dans une section à part, quatre-vingts jeunes filles recluses, entre seize et vingt ans. Encloses plus qu'enfermées, maltraitées. Ce ne sont pas des criminelles mais «des mauvaises filles», des fugueuses «inamendables», «vicieuses». Elles sont là parce qu'elles sont «de mauvaise vie». Parce qu'elles contreviennent aux attentes de la société bourgeoise. Parce qu'elles ont refusé l'inceste, les viols, la soumission aux mâles de leur propre famille. Le 6 mai donc, elles se révoltent, parviennent à envahir les cours intérieures, les cuisines, à grimper sur les toits de la prison. La presse de l'époque est hallucinante à lire : ces adolescentes sont décrites comme des «sauvageonnes», des «folles», des «hystériques avinées». Elle insiste sur la sauvagerie de leur débordement : les flics sont accueillis par des jets de tuiles lancées du toit et... «des bordées d'injures» ! ... Voilà ce qui choque : leur langage. Cru. A un point tel que le directeur de la prison soulignera devant les journalistes sa vertu outragée par leur vocabulaire grossier... La presse insiste sur ce caractère ordurier de leur langage...
Qui sont-elles vraiment ? Pour la plupart d'entre elles, elles sont emprisonnées à titre «préventif». Aucune n'est passée devant un juge. On les a enfermées parce qu'on les soupçonnait, les unes d'être «tentées par la débauche», les autres pour avoir failli fuguer ou fugué vraiment. «Pré-délinquantes» ! Elles ne le sont même pas encore mais pourraient le devenir ! Cette France de l'après-guerre est odieuse ! Dans la réalité, nombre d'entre elles ont fui des abus sexuels au sein même de leur famille ! Et se sont retrouvées «placées» par la volonté des pères, sur simple déclaration de «correction paternelle» !
L'autrice a enquêté. Il y avait ces filles à Fresnes, mais des milliers d'autres ailleurs, brisées sous le joug des institutions catholiques qui avaient main mise sur l'éducation dites «surveillée»... Des nonnes malfaisantes, odieuses, ordurières. Notre héritage chrétien. Les filles leur étaient «confiées» pour y été «traitées» : comprenez remise dans le droit chemin. Dressées. Vaincues. Avec au centre de cette «éducation» les arts ménagers, qui fleurissaient alors pour libérer les «ménagères» des tâches les plus chronophages.
La presse fut ignoble durant les trois jours que dura la révolte. On ne s'en étonnera pas : celle d'aujourd'hui en est l'héritière. Ces adolescentes battues, enfermées, sans droits, la presse les décrivit comme des monstres lubriques, redéployant le vocabulaire des chasses aux sorcières des siècles passées pour évoquer leur «possession satanique»... La figure de la grisette ressurgit et avec elle l'imaginaire des maisons closes... Les journalistes s'en donnèrent à cœur joie, déshumanisant ces jeunes filles pour en faire des succubes offertes à tous les vices, jouissant elle-même, cette presse abjecte, de ses fantasmes de viol à leur encontre... A vomir !
La police vint à bout des jeunes filles qui furent cette fois présentées devant un juge. Elles furent alors condamnées à de très lourdes peines, sur des motifs futiles : l'une prit huit mois de prison supplémentaires pour avoir recelé dans sa poche quelques carreaux de chocolat volés à l'économat... Une autre un an pour injure au personnel de la prison. Personne ne les a écoutées.
Juste ce roman pour en témoigner. Un peu surchargé, tentant de nouer des fils imaginaires au récit de cette révolte héroïque. L'autrice ne voulait pas faire œuvre d'historienne, mais son roman dissémine l'horizon d'attente et finit par dissoudre la force de cette histoire dans un romanesque surabondant. C'est dommage. On l'aurait préféré dépouillé, ce récit : l'abjection déployée par la Justice et la presse suffisait en matières pour délivrer l'hommage qui leur est dû.
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Dorothée Jardin, La révolte des filles perdues, Stock, août 2023, 380 pages, 21.50 euros ean : 9782234095090.